• Il était une fois en Angola... (roman)

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    Il était une fois en Terres d'Angola

    C'est une fresque sociale qui se passe en Angola dans les années 60 au début de la guerre coloniale et pendant la dictature d'Antonio de Oliveira Salazar, 1932-74. Celle-ci pris fin avec la révolution des capitaines d'avril dite aussi révolution des oeillets du 25 avril 1974. Elle fut déclenchée par le capitaine Otelo Saraiva de Carvalho au son de la musique de la chanson "Grandola Vila Morena" de José Afonso.

     

     

    (1999) Zeca Afonso - Grândola Vila Morena sem censura - YouTube

     

    -     Cher ami lecteur je voudrais t’avertir que la présente narration est un conte. C’est un ouvrage de pure fiction.

    -     Ah ! Ah ! Ah !

    -     Mais si ! Mais si ! Bien sûr que toute ressemblance avec des personnes, des lieux, des événements historiques, existant ou ayant existé, des événements présents ou passés n’est que pure coïncidence !

    -     Ah ! Ah ! Ahah !

    -     Mais si ! Sembles-tu en douter ? Mais si ! Mais mon ami lecteur tu pourras t’en rendre compte au cours de ta lecture.  N’en doute pas ! Mais permets-moi, permets-moi, d’évoquer une amie que tu ne connais peut-être pas. Ecoute :

     Ma Calliope 

    -     Mon amie

    -     Ma compagne mon inspiratrice

    -     Ô ma Calliope

    -     Reste-moi toujours fidèle

    -     C’est ma dévote prière

    -     Chaque jour, chaque nuit

    -     Ô difficile amie !

    -      

    -     C’est ma prière de Chaque nuit

    -      

    -     « Ô ma muse, ma Calliope,

    -     Secours-moi dans mon message

    -     Donne le juste équilibre à la phrase

    -      

    -     Tu es encore là Calliope ?

    -      

    -     Dessine moi avec ton nez

    -     Écris moi avec ton cheveu bleu

    -     Le juste et le bon mot.

    -     Sois gentille avec ma peur

    -     La page blanche.

    -      

    -     Ô écrivain du dimanche !

    -      

    -     Sois précis et clair,

    -     Une idée, une phrase

    -      

    -     Élève incompétent !

    -     Sujet, verbe et complément.

    -      

    -     Sois vrai, sois sage

    -     Décore le tout d’une image

    -     Mets-y du sel et du poivre

    -     Attention à l’orthographe

    -     Trois quatre, cinq phrases…compte jusqu’à dix

    -     Ça y est, change de sujet,

    -     Voici le 1er paragraphe !

    -      

    -     Touille le tout, laisse reposer

    -     À servir et à manger !

    -      

    -     Ô Écrivain du dimanche

    -     Déjà prêt à quitter la table

    -     A la prose savoureuse

    -     A la délicieuse poésie

    -     Ajoute en dessert

    -     Un petit café, un expresso d’arabica

    -     Trois sucres de canne

    -     De mon Angola

    -     Un petit bâton de cannelle

    -     Ô ma Calliope amie

    -     Et un autre plus grand

    -      De folie !

     

    -     Ah ! Ah ! Ah ! Ahah ! Rien que ça !

    -      Ô mon cher lecteur je vois que tu es encore là ! Ton petit sourire moqueur me plait ! Oui ! Oui !  On y va !  Ecoute !

      

    -       Il était une fois... une fiction de la société campagnarde à l'époque des dictatures Ibériques. Les personnages principaux qui animent ce conte de façon romanesque retracent l'histoire de la vie en terres d’Espagne, du Portugal et même de l’Angola. Cela se passe essentiellement dans la moitié du XXème siècle. 

    Il y a d'abord le petit Wald, ce n'est qu'un enfant adoré de ces parents, sa maman Virginia et son papa Claudio.

    Son Papy, est le conteur et témoin de son époque assure que les mensonges qu'il raconte sont vrais. Sa supposée femme Isabel, dite Jézabel, car elle incarne la méchanceté autant familiale que biblique et le petit Wald la refuse comme grand-mère, puisqu’elle donna son âme à Lucifer, son cœur au diable et sa propre famille au grand Satan Lazar.

     Ça commence bien papy !

    Mais heureusement qu’au final Sœur Rachel emporte Papy au ciel. Les dictateurs Satan Lazar et Paco Bestamontes, névrosés obsessionnels, victimes de refoulements variés, notamment sexuels, règnent en Princes des Ténèbres, et commettent les plus grandes diableries en Espagne, au Portugal pendant plus de quarante ans.

    -     Pauvres portugais ! Malchanceux espagnols ! 

    -     Tu as raison mon petit lapin blanc et noir.  Mais écoute ce qui suit : 

    -     1933-1970-1974
    Au nom de la Famille
    Au nom de Dieu,
    Au nom du patriotisme,
    Et d'un terrible nationalisme
    D'un Satan Lazar fascisme
    Rien à envier au sanguinaire communisme !

    Des prisons ! Des forteresses ! Des camps !
    De concentration !
    De la torture inhumaine
    Des assassinats à la chaîne
    Maria Eufêmia ...
    Amilcar Cabral ...
    Ni vu ni connu ni odeur
    Repos ! Repos ! Repos ! à vous
    Et à Humberto Delgado
    Le Général Sans Peur
    Des vols ! Vers le ciel ou l'enfer
    Des prisons ! Des forteresses ! Des camps !

    Au nom de la Famille
    Au Nom de Dieu
    Au nom de la Patrie
    Au nom du Satan Lazar fascisme
    Au nom de la Nation.

    Ô Satan Lazar !
    Que tu es bon
    Que tu es Grand
    Plus grand que dieu ...
    Plus grand que ... ! Plus Grand... !

    « Ô Puta Madre de diez ! »
    Tu te fous de nous !
    Mais comment ... ? Mais comment... ?

    Ô bigot névrosé Satana Lazar !
    Veux-tu encore te moquer de nous ?
    Qu'as-tu fait de Dieu !
    Qu'as-tu fait de la Famille !
    En quel état as-tu laissé en 70 Notre Patrie ?

    Ô Satan Lazar !
    Célibataire ! Célibataire vieux
    Ô vieux garçon ! Jamais marié !
    Sauteur habituel de belles de nuit
    Client assidu de prostituées !
    Pour toutes ces joies
    Tu voudrais être canonisé ?

    Ô Satan Lazar
    Mais que sais-tu des gens, de la famille ?
    A Sao Benedito « Toujours » claustré
    Même pas un enfant ! Jamais marié !
    Jamais aucune autre nation voyagée
    Jamais un seul jour
    Ton empire colonial visité
    Quarante ans ! Quarante ans !
    Toujours ! Toujours !
    Comme moine claustré.

    Ô Satan Lazar !
    Mais que sais-tu de la famille ?
    Grand célibataire et vieux
    Quel vieux garçon
    Sans femme
    Sans enfants !
    Que sais-tu des gens ?
    Que sais-tu de la vie ?
    Dis, dans quel état as-tu laissé notre Patrie ?

    Satan Lazar
    Le vieux garçon
    Elevé en monument du ridicule
    Comme le bon père, le bon mari, de la nation !

    Ô grand homme d'état !
    Ô grand mari de la famille
    Ô grand père de la nation
    O grand dieu sans égal
    Après plus de 40 ans
    Dans quel état as-tu laissé le Portugal ?

    - Des millions de Portugais
    Fuient ta dictature de foutaise
    Ton paradis de « Dieu Patrie Famille » misérable
    En quête de pain
    En quête d'une meilleure vie
    En quête de respect
    Même en quête d'air frais de démocratie
    En quête de Liberté !

    Ô Satan Lazar
    Des millions de Portugaises
    Fuient ta dictature de foutaise
    En humbles mendiants immigrés
    Vers les démocraties développées
    Que dans tes discours aboyés
    Tu ne cessais de dénigrer !


    Ô Satan Lazar !
    - Des millions de Portugais
    Fuient ton Etat dit Nouveau
    « A Salto ! A Salto ! »
    Vieille valise vide en carton
    Par monts et par vaux
    Comme des sauvages animaux
    Plus tristes que gais !
    En quête de liberté
    Pour survivre et manger !
    Pour fuir ta guerre coloniale !
    Près à saisir la nouvelle vie à deux mains
    Près à gagner ailleurs l'Être Humain respect
    Que pendant plus de quarante ans
    Ô Satan Lazar !
    Tu n'as jamais su leur donner !

    Ô Grand Satan Lazar
    Le plus pauvre, le plus analphabète, le plus...
    Était « ton » Portugal
    De toute l'Europe Occidental !

    Mais pourquoi encore autant de balivernes ? 

     

    -     Oui mon petit Wald, des balivernes ! Mais continuons notre récit historique… 

    -     Mais papy, tu m’as dit que c’était un conte !... 

    -     Choisis ce que tu veux Wald. Ne t’ai-je pas répété souvent qu’il faut aussi lire entre les lignes ! Maintenant allons-y !  


    Le bon vieux curé, le père Trampoline, du haut de son tremplin, nuit et jour, guette et surveille   avec frénésie ses ouailles.  De peur que les villageois prennent le mauvais chemin, il jongle, saute, glisse, tombe, non pas du côté du Dieu, de la beauté humaine, mais des dieux autoritaires et omniprésents de Lisbonne et de Madrid.

    -     Toujours la même chose ! Faites ce que je dis, ne regardez pas ce que je fais.

    Et voilà que ce petit monde prend vie dans ce que Wald désigne comme le plus beau village de la frontière luso espagnole dite la Raia : Roustina. Car tel un belvédère, l'on voit des ses hauteurs en général toujours fraîches et vertes, mais jaunes en juillet-août, tout ce Portugal seul dans ce monde perdu, mais fier d'être pauvre et une bonne partie de cette Espagne Unie et Grande dans sa petitesse humaine. 

    Mais dis-moi lecteur ! A la fin, peut-on faire confiance à un prétendu auteur qui divulgue ce que Sa Sainteté de Rome a voulu cacher pendant des siècles ?

    -     Hum ! Hum !

    Tant de questions et autant de confusions ! Et maintenant, grands et petits enfants lecteurs et lectrices, écoutez, osez tourner les pages de ce conte, au fil de la tradition orale, si vous êtes assez hardis !

    -      Oh là là ! Ces auteurs tous des menteurs !... Eh ! Ainsi soit-il, si vous le voulez ainsi !

    -             Pour les siècles des siècles ! Amen ! Répondit grand-père – - On se croirait à l’église avec toi papy. Tes litanies avec moi ne marchent pas, ajouta Wald. Tu te croyais tout seul ! hein ! Mais je t’espionnais et me demandais encore ce que tu allais encore nous raconter ! 

    -             Ah ! Quel filou alors ! Pour qui travailles tu ma petite canaille, pour Bestamontes ou pour Satan Lazar ? 

    -             Pour moi ! Tes dictateurs ne m’intéressent ! Leur Espagne, leur Portugal ce sont des pays de merde ! Tu crois que je ne vois pas !

    -             Mais que veux-tu dire Wald ! De quel Portugal, de quelle Espagne parles-tu ? Attention où tu vas mettre tes pieds… Arrête de jouer les durs ! Sois gentil ! Viens t'asseoir tranquillement à côté de moi, ouvre plutôt tes portugaises et écoute sans perdre une miette. Je vais te raconter un conte qui ressemble beaucoup à ton histoire et à la mienne.  

    -             Sois gentil ! Sois gentil ! Mais tu me prends pour un petit diable au quoi ? Allez racontes donc si tu as quelque chose d’intéressant à dire ! Allez vas-y ! 

    -             Ecoute donc. Au début, tu venais juste de naître, alors tout pour toi sera une découverte. Mais, toi aussi, il faudra que tu me dises ce qui s'est passé quand tu as vécu avec tes parents en Angola bien loin de moi. Ça va, tu es bien assis sur ton tabouret, je peux commencer ? 

       

    -             « Il était une fois un enfant vivant dans un royaume fantastique. Dans ce conte il y avait aussi, un policier, un roi, un jeune évêque, une jeune religieuse, une église avec sa sacristie, un pistolet, beaucoup de sang et… »

     

    -             Ô Papy soit sérieux ! Tu crois que je ne vois pas que tu es encore en train de me vendre « gato por lebre » ce qui voulait dire vendre de la viande de chat pour du lièvre. Je veux une histoire vraie ! Tu m’entends, sinon, sinon je retourne en Angola et je ne te raconterai rien !

    -             Vous voyez ! Vous voyez ! Même le gamin se méfie du grand-père. Cet auteur est un beau parleur de plus. Méfions-nous ! Ces gens d’écriture il faut les lire entre les lignes et en se posant toujours la question du « où, quand, le pourquoi et le comment ! »

    -             Mais cher lecteur je te laisse inventer, créer ton histoire ou améliorer celle-ci, car je sais que toute imagination aime chevaucher par monts et par vaux et accomplir les plus grands rêves et destinées. De plus c’est en écrivant que l’on devient écrivain. A ton clavier lecteur incrédule !

    Mais pour l’instant il faut savoir, compagnon de voyage, que le royaume dont je veux ici chanter les réalités et les mystères se situait dans la partie supérieure et à gauche d'une vieille carte. Il était à la tête de la vieille Europe et du monde connu de l'époque. A l'est, une hideuse pieuvre aux longs tentacules voulait le jeter dans l'océan Atlantique. Au sud, une myriade d’inconnus aux visages menaçants, fortement armés, lui emprisonnait les pieds. Le malheureux royaume était étranglé de tous les côtés.

    -        Mais de quel royaume ancien tu veux nous parler ? Ne nous as-tu pas affirmé plus haut que ta fiction se passe dans la campagne Ibérique à l’époque de ton Satan Lazar et de ton Paco Bestamontes ?

    -        Oh pardon Wald, parfois ma pensée me fait défaut, d’autres s’envole comme un papillon.  Mais écoute ceci avant et après on revient à notre conte. Tu es d’accord ?

    -     Ah ! Allez ! Qu’elle arrive ta fantaisie !  Mais après je veux mon histoire !

    La plume dans ma main

    La page blanche devant

    Mais Cassiopée, mais non, mais non !

      Je te mens

    Pardon ma Calliope bien aimée !

    Il était une fois dans la ville de Foix

    Eh bien ma foi…

     

     C’est qu’il y a toujours différentes vérités

    Le clavier, je caressais tendrement avec ma main

    Un plaisir qu’allait jusqu’à la pointe de mes doigts !

     

    Mais pardon Cassiopée !

    Non, je ne te mens plus

    Pourquoi ? Tu crois que je mens ?

    Non je ne te mens pas

    Ils sont ici, ils sont là ces fautifs doigts

    Tu les vois ?

     

    Ne me mens pas !

    Quant à l’écran ?

     

    Mais il est devant

    Je ne le touche pas !

    Avec mes dix doigts

    O ma Cassiopée

    Je ne voudrais caresser que toi

    C’est vrai ! Tu vois !

     

    A force de fixement le regarder

    J’ai même mal aux yeux

    Je crois que je pleure

     

    La distance et ton absence

    O ma Cassiopée andalouse

    Pourquoi es-tu jalouse !

     

    La soirée en travaillant

    La nuit en rêvant

    Nuit et jour pleurant

    Triste est chaque instant

    Regardons la vie en souriant

    L’avenir en chantant

    Ô impitoyable ô ma désirée

    Cassiopée

     Cœur de poète charmant »

     

    -              Mais Papy reviens sur terre ! A qui es-tu encore en train de parler ? Au lieu de me raconter mon histoire tu es encore parti ailleurs.  Je te déteste ! Je ne t’aime plus ! Je suis toujours tout seul ! Je n’ai même plus ni mon papa, ni ma maman. Rien ! Tout seul dans cette vie de … ! S’ils étaient là … 

    Wald s’enfuyait en pleurant à chaudes larmes dans l’obscurité de la rue pavée de pierres mal dégrossies qui mène à l’église du village de Roustina. Il courrait plus vite que le vent venant de Castille au mois froid de décembre.

    -             Mais où vas-tu mon petit sauvage, mon petit lapin blanc et noir ! Mais ton papy est là pour toi ! Le petit tabouret que papy a fait pour toi est là tout triste en train de te réclamer. Allez, viens, même ton petit ouaf-ouaf, Batista t’attend. Regarde Café au Lait. Tu lui manques. Tu ne comprends pas ses miaulements de tristesse.

    -             Tu sais papy avec cette histoire de l’Angola. Parfois je me demande à quoi sert de vivre. Pourquoi vivre puisque mes parents sont morts là-bas. Je crois même que je suis la cause de leur mort.

    -             Mais pas du tout mon petit angolais. Le vrai coupable de tout ça est peut-être en train d’avaler des hosties au Monastère des Hiéronymites ou même en train de forniquer, la conscience tranquille à São Bento avec une prostituée ! Quel salaud. Combien de vies périrent dans ses mains de fer depuis trente ans ! Et le drame c’est que l’on n’entend même pas leurs cris de douleur ni leurs larmes sous la torture. Tout est étouffé, ni vu ni connu, que le soleil brille !

    -             Mais tu parles de qui, de quoi ? Tu pleures papy ?

    -             Allez Wald ! J’essaie de comprendre ! J’essaie de penser à la vie ! Heureusement encore que tu aies échappé au carnage angolais. Au moins tu es là. Mais tu dois me comprendre aussi. Parfois je n’arrive pas à accepter ce drame. Quelle injustice d’être tué par ceux que l’on défend !  Je ne devrais pas en parler. Tu es encore si jeune mon petit Wald.

    -             Ça je le sais papy ! Mais de quelles larmes, quelles tortures parlais-tu ?

    -             Mais des idioties de certains hommes qui ont besoin d’imposer par la force ou par la mort leurs idées qu’ils croient vraies parce que ce sont les leurs. Mais maintenant on s’en fou de ces gens-là. Un jour tout cela finira par s’arranger. Allez, viens dans mes bras mon petit lapin angolais. Tu sais que malgré tout j’aime ton Angola ! Oui prends le petit coussin de ta maman, tu seras mieux assis pour écouter l’histoire de cette pauvre Péninsule Ibérique. Allez ! Approche ton petit tabouret en pin du mien.

    -             Mais papy tu m’as dit que cette histoire ressemblait à ma vie, à notre vie… Je te connais ! Tu vas encore inventer, imaginer des…

    -             Ecoute Wald je crois que ma vie, la tienne est l’histoire de ce Portugal-là, de l’Espagne voisine. C’est presque pareil !

    -             Comme tu veux ! Mais Papy jusqu’à quand vas-tu nous faire poiroter là ! Même Batista dresse les oreilles.

    -             Ouf ! Ouf ! Ouaf !

    -             Allez le chien ! sois gentil !

    -             Ça va ! ça va Wald ! ça vient ! Ce qu’ils peuvent être exigeants les enfants de maintenant. Même Batista s’y met ! Arrête de bouger ta queue là ! Tu crois que c’est drôle de ressasser tout ça ! Et que vont dire les lecteurs qui sont en train de lire cette histoire. 

    -             Mais dépêche-toi papy ! 

    -             Oui ! Ça vient te dis-je ! Mais les bons lecteurs de ce conte vont applaudir au bout de chaque chapitre, en revanche les mauvais, ceux qui pensent que seule leur idée est bonne, ils me font peur. Ils sont- là, en Ibérie et ailleurs ! Ton histoire arrive tout de suite Wald, mais Rome ne se fit pas en un jour Wald ! Mais assez de discours, tu as raison Wald, voici ton conte. 

    -             Il s’agit d’un monstre, un monstre que… 

    -             Oh encore un monstre. Oh papy j’ai peur. J’en ai tellement vu en Angola. C’est un grand ou un petit ? 

    -             Malheureusement plus grand qu’il ne devrait ! Mais écoute !

    -       Mon petit Wald, il était une fois un petit enfant qui n’avait vraiment pas de chance. En effet, ce pauvre enfant n'était pas encore né, que le monstre le détestait et le maltraitait déjà !

    Mais Batista arrête d’aboyer et de provoquer Café au Lait. Cela me perturbe et minou va finir par te crever un œil.

     C’était un monstre d’une grande méchanceté et d’une rare cruauté. De plus, il éprouvait même du plaisir à faire du mal. C’était une personne ou plutôt une bête à l’âme perdue et au cœur rongé par la colère. Ce monstre était bien plus coléreux et haineux que le taureau noir et meurtrier de la Capeia Arraiana, d’Aldeia da Ponte qui mit au soleil les tripes du toréador espagnol l’été dernier. T’en rappelles-tu Wald ?

    -             Mais oui Papy. Pourquoi tu me fais rappeler cela. Tu sais très bien que je n’aime pas voir couler le sang ! 

    -             Eh bien le grand monstre avait la même sauvagerie que ce dit taureau. Le monstre comme cette bête grattait avec violence le sable de l’arène de la vie avec sa patte et criait en crachant du feu par les yeux : 

    -             Não me deixes cà o teu bastardo! Não quero  putas nesta casa!

    -             Ne me confie pas ton bâtard, je ne veux pas de putes dans cette maison ».

    - Wald, mon petit-fils, je dois t’avouer avec douleur que ce monstre horrible habitait le cœur de pierre de ta grand-mère.

    -      Mais ça je le savais déjà Papy !

    -      Tu le savais ? Ah ! Bien qu’étonné, papy continua :

    -  Mais tu ne sais pas tout ! Ecoute encore… De sa taille volumineuse, elle remplissait le cadre de la porte d’entrée de la maison. Sa voix suraiguë et haineuse venait de secouer comme un tonnerre le village de Roustina. La méchanceté de ses mots était telle, mon petit Wald, que le nord le nord du Portugal, montagneux et granitique, fut ébranlé. Tends l’oreille Wald et écoute-moi bien. Même le ciel fut secoué ! Pendant des jours et des jours, les nuages pleurèrent des torrents de larmes.

     

    -      Oh papy !  On dirait le Déluge de la vengeance divine ! Et les êtres humains, pourquoi sont-ils si méchants, plus méchants, plus méchants que Baptista !

    -         Ouaf ! Ouaf !

    -       Proteste pas Baptista ! Tu es un bon chien mais parfois tu es exécrable avec Café au Lait aussi ! Wald caresse Baptista tout en le prenant dans ses bras.

    -       C’est vrai Wald ! Ta grand-mère avait plus du diable que du bon dieu ! Tous les humains ne sont pas des crapules Wald. Il ne faut jamais généraliser. Chaque être est une spécificité et peut changer, en bien ou en mal, dans la vie et même dans la même journée. 

    Ta mère était douce comme les prairies du Gérés qui ruissellent d’eaux douces et argentées au printemps. Ta maman éclata en sanglots. Son cœur était meurtri par cet orage de mots blessants qui regorgeaient de haine et de mépris. 

    C'est vrai mon petit Wald, que tu avais été conçu trois mois avant le jour de son mariage. Pourtant, ce jour-là, elle était vraiment heureuse dans sa robe blanche. Tellement contente de sentir la présence dans son ventre de son enfant qui allait naître. Ton papa était aussi un homme qui comblait sa femme de bonheur. De plus, le bébé n'avait-il pas un père ?   

    Tout avait si bien commencé. Elle se sentait tellement heureuse, tellement contente. Elle se sentait comblée. Elle se rappelait le jour de son mariage. En marchant vers l'église, son fiancé, qui allait devenir son mari, lui dit avec humour et beaucoup de tendresse : 

    -              Si c'est un grand ce sera un grand footballeur, comme Eusèbio, un Benfiquiste de plus. 

    -             Mais Papy, moi je veux jouer à l’Académica de Coimbra ! 

    David, le grand-père n’entendit rien plongé qu’il était dans sa narration. 

    -             Mais à tous moments, les paroles du monstre retentissaient encore et avec violence, dans sa pauvre tête. 

    « Puta sem vergonha sujaste para sempre o sangue da minha familia e a brancura do vestido de casamento ». 

    C’était en effet, une injure telle que, même le diable, n'aurait pas osé le dire : « pute sans vergogne, tu as souillé le sang de la famille et la blancheur de ta robe ».

    -             Papy ! Papy ! Si ta garce de femme était encore là je lui ferais avaler ses mots du diable ! Je montrerais à ma mère que…

    -             De ta vaillance je n’en doute point Wald. Concernant l’autre garce elle l’est, mais quant à être ma femme … Elle ne l’a jamais été vraiment ! Seulement sur les documents. La tradition, bienpensante aussi, habillée d’uniformes, soutanes, robes noires, redingotes, chapeaux haut de forme et autres trompe l’œil choisissaient ce qui était un mariage convenable, ce qui était bon et ce qui ne l’était pas. La jeunesse et par-dessus paysanne, car trop jeune et verte n’avait qu’à suivre le bon chemin, le chemin tracé par les intérêts matériels des ainés.

    -             Laisse tomber papy ! Ça ne vaut vraiment pas la peine de parler de toutes ces salades traditionnelles qui étouffent les cœurs ! Moi je te comprends et cela suffit. Poursuis plutôt mon histoire, papy.

    -             Le ventre de ta maman c'était arrondi, et il était évident qu'elle attendait un bébé conçu avant le mariage. 

    Ta mère, la pauvre fût tellement abattue par ce qu'elle avait entendu qu'elle n’éprouva même pas de rancune. Elle fit front une fois de plus, la gorge sèche et la mort dans l'âme sous le soleil du matin. 

    - Entraste nesta familia para a sujar  mas rapido teras de sair para a limpar. Desaparece para sempre dos meus olhos. Nunca mais te quero ver. Amanhã mesmo te vou a denunciar ao sr padre. Ce qui voulait dire approximativement, car traduire, c’est trahir le texte original, comme l’affirme l’expression italienne traduttore  traditore : 

    -Tu es rentrée dans cette famille pour la salir, mais au plus vite tu dois en sortir pour la nettoyer. Disparaît pour toujours de ma vue ! Je ne veux plus jamais te voir ! Demain, j'en discuterai moi-même avec Monsieur le Curé.

    -     Ce faux jeton, le père Trampoline ?

    -     Ta grand-mère n’avait pas de…

    -      Cette Jézabel n’est pas ma grand-mère, tu m’entends papy !

    -     Oui je comprends. Le nom de Monstre lui sied mieux. Je continue. Le Monstre n’avait pas la moindre tendresse dans le feu de sa colère. Tout son corps, cœur et âme était haine, mépris et intolérance.  Ses paroles tombaient sur ta mère comme un coup de tonnerre dont le claquement retentissait dans tout le village. Presque toutes les femmes de la commune furent étonnées, mais pas surprises des propos violents de celle que je n’ose pas nommer plus ta grand-mère. Mais que pouvaient-elles faire contre celle-ci. 

     Cependant, à ce moment précis, personne ne pouvait les empêcher de parler, et leurs propos allaient bon train : 

    -    Femme au cœur rongé par le fiel et bouffi de méchanceté. Si les chiens avaient la parole, ils ne diraient pas de telles ignominies. Comment ce monstre de femme, peut-elle parler ainsi de sa belle-fille le jour même de son mariage !

    C'était sans compter sur les quatre ou cinq familles les plus puissantes du village et notamment les femmes. Celles-ci ne pouvaient pas laisser passer cet indigne affront, selon elles, qui allait à l'encontre de la bonne moralité de la petite cité. 

    -  Mais grand Dieu que va-t-on dire de nous ailleurs, à Soutugal et même à Lisbonne. Les mauvaises nouvelles toujours se répandent plus vite que la foudre.

    Selon elles, leur réputation était menacée. Il fallait la défendre coûte que coûte. Pas de temps à perdre. Elles n’allaient quand même pas laisser cette dévergondée salir leur honneur et celui de Roustina. Leur devoir et obligation était de chasser du village cette mal propre, cette belle du plaisir. Leur zèle de vertu les poussa à agir avant qu’il ne soit trop tard : 

    -             Il faut laver au plus vite la souillure, la tâche rouge de la blancheur de notre village de Roustina. Puis l’une d’elles suggéra :

    -             Courrons vite chez Monsieur le Curé, qui doit-être encore à table. Qu’elle soit excommuniée ou brûlée sur la place du village. Une autre femme ajouta :

    -             A sa naissance, jetons le bâtard dans les eaux froides du Coa avec une pierre autour du cou. Les poissons et autres bestioles feront le reste… 

    -             Celle qui n’avait pas encore parlé et dont la langue était comme un couteau aiguisé, trancha d’un coup sec :

    -             Il faut faire un exemple, sinon à l’avenir, ce ne sont pas des petits anges qui vont naître à Roustina, mais des diables hideux qui vont empester l’air pur et chrétien de notre village. 

    -      Malheureusement, mon petit Wald, le mauvais exemple fut trouvé rapidement !  Malgré les prières en faveur de ta mère de tout le peuple de Roustina, Monsieur le curé, sous l’influence des puissants du village, condamna tes parents, non pas au bûcher, comme le demandaient leurs femmes, mais à l’exil vers l’Angola aussitôt après ta naissance.

    -             Ô Papy ! Mais je vais les tuer tous ces richards, toutes ces femmes bien pensantes du village ! 

    -             Cela ne vaut même pas la peine Wald. Leur méchanceté s’en chargera ! Les méchants finissent par aller vite au diable et à la mesure du critère de leur poison ! Pour le moment contente-toi seulement de m’écouter. 

     

    *

    « Mon Saint David »

    Ô Mon petit Papy
    Mon Saint David auréolé
    C'est dimanche
    Le clocher t'appelle
    Pour rendre visite à dieu
    Vas, mets ton costume noir
    De la même couleur que tes souliers
    N'oublie pas ta blanche chemise en lin
    Les beiges chaussettes en laine te vont si bien ! 


    Mon petit papy
    Mon saint David auréolé
    Tu es si joliment habillé ! 


    Gare à toi, il ne faut rien tâcher
    Mais tu as intérêt à te dépêcher
    Faire, faire très attention
    À ton Petit Lys tout blanc 


    C'est ainsi que papy appelait sa Rachel
    Dévouée au pays de lait et miel 


    Elle va t'échapper de la main
    Tomber dans les bras de monsieur le curé.
    Mais il est presque midi !
    C'est l'heure
    Mais tu n'entends pas les cloches
    À la messe ! Allons à la messe !
    Trouver ta Rachel, mon adoré Papy !

     

    *

    La sentence

    -             Le sermon du Monstre avait mis le village en ébullition comme l'aurait fait un volcan endormi qui se réveille d'un long sommeil. Les habitants certes n’osaient pas se révolter frontalement contre la force brute des puissants du village, mais ils agissaient indirectement, d’une façon souterraine. Leur déception et colère n’était qu’endormie prête à bondir lorsque l’occasion se présenterait de façon propice. Alors, à la tombée de la nuit, les femmes qui étaient les plus compréhensibles de ces problèmes se dirigèrent accompagnées de quelques hommes vers ma maison. Un   silence de cercueil les accueillit, les hommes sifflotèrent pour éveiller mon attention.  En effet, le bruit me surpris, et je ne tardais pas à m’approcher de la fenêtre de la façade de la maison. Ils m’aperçurent aussitôt derrière les rideaux.  Je leur fis signe que j'allais sortir sans tarder. Je savais pourquoi ils venaient et que les femmes m'attendaient de pied ferme et avec impatience 

    -             Comment David peux-tu laisser ton serpent de femme cracher ainsi son venin à l’encontre de Claudio ton fils et de ta belle fille. Virginia, n’était-elle pas la fille que tu attendais ?

    -             Écoutez, je vais faire de mon mieux. Je m'efforçais de parler calmement essayant ainsi de calmer la colère des femmes. 

    -             Mais es-tu un homme ou … ? Vas-tu laisser ta vipère de femme….

    -             Ce n’est pas cela ! Je ne peux quand même pas la tuer sur le champ il y a d’autres façons de faire.

    -             Moi je vais lui écraser la tête à ton serpent si tu n’en n'es pas capable. Vous les hommes, vous nous poussez à faire des bêtises, mais au bout du compte, c’est nous qui les payons cash !

    -             Tu es responsable de ton fils, non ? Dit une femme plus que respectable que l'âge courbait, puis elle ajouta encore : 

    -             Cela ne se serait jamais passé de mon temps. Au lieu d’avancer l’on recule dans ce pays. Maintenant il n’y a plus de femmes, plus d’hommes capables de se battre. Moi Monsieur j’ai fait la Maria da Fonte. Qu’attendez-vous pour faire une autre rébellion !

    -             Elle viendra, Elle viendra señora Francisca. 

    -             Je me sentais fatigué et abattu, j'avais les traits tirés, en me tournant vers le groupe, je leur dis : 

    -             Je sais que vos cœurs sont meurtris par ce qui arrive. Je sais que votre indignation est grande. Je sais que vous ne pouvez pas comprendre de raison ce qui est inacceptable. Je sens dans mes entrailles une révolte encore plus grande que la vôtre. Tout cela me touche personnellement.  Sachez que je ne fais pas de différence.  Il n’y a pas ici un homme contre une femme Madame Francisca.  Ils sont tous les deux mes enfants, aussi bien l’un que l’autre sans distinction, ainsi que le bébé qui est dans le ventre de sa mère. Ils sont la chair de ma chair ! Vous comprenez. 

    -             Mais alors David, fais quelque chose pour ton fils Claudio et pour ta belle-fille, cette malheureuse Virginia. Cours chez le curé, interviens au plus vite. Alors magne-toi le cul David, allez, file, que fais-tu là à attendre !

    Mon petit Wald, celle qui parlait comme une mère était la vieille Francisca. Elle est montée au ciel, comme l’on dit au village le jour où le Portugal a battu la Corée du Nord 5-3 lors de la coupe du monde. Un jour de fête au Portugal, mais un jour de tristesse dans toutes les maisons de Roustina.

    Mon petit-fils, mon petit Wald, tu sais en l’écoutant, la Francisca comme nous l’appelions, je ne pus retenir mes larmes, elles coulaient sur mes joues, chaudes et abondantes comme celles de Madeleine à la mort de son Jésus. 

    -             Mais tu pleures encore Papy. Je ne veux pas te voir pleurer mon Papy. 

    -             Mais je ne pleure pas Wald, ce sont mes yeux qui… Entre deux sanglots je leur ai dit : 

    -             Ça ne sert à rien señora Francisca.

    -             Mais pourquoi ? Demanda une autre femme interloquée ! 

    -             Cela fait plus de deux heures que je suis revenu de chez le curé. Sa décision était déjà prise.  A l’heure qu’il est je suis un père déjà sans ses enfants ! 

    -             Mais comment cela David ? S’étonnèrent toutes les femmes en cœur.

    -             Expulsés, exilés vers l’Afrique ! Mon Claudio et ma Virginia, mes enfants devront partir dès que le bébé naîtra. Cela me fend le cœur et m’arrache les entrailles. Mes enfants sont morts avant d’être réellement morts. Vous comprenez mon déchirement. Que vais-je devenir sans eux ? 

    -             On a déjà vu d’autres. Ce ne sera pas la dernière. Nous allons nous unir dans la joie et le malheur et continuer à luter, à aller de l’avant. Puis Francisca poursuivit. Avec les exilés vers l’Afrique, tous ces jeunes qui fuient chaque nuit pour échapper à l’armée et à leur guerre coloniale allant clandestinement en France et autres pays démocratiques, ces villages du Portugal ne seront habités que de vieux comme moi ! Je me demande qui va planter les patates, faucher les foins, faire les moissons. Que va devenir notre pauvre pays si le diable n’importe pas l’autre ! 

    -             Qui est l’autre Papy ? 

    -             On verra plus tard Wald ! Ce que je voulais te dire, c’est que la semaine de ta naissance n’était pas encore finie que ton père et ta mère avec toi dans ses bras et du caca dans tes couches de lin blanc, tous les trois, vous attendiez sous surveillance policière de la P.I.D.E. à Lisbonne le fameux paquebot Vera Cruz à destination de Luanda en Angola. Et voilà mon petit garçon ! C’en est bien assez pour ce soir.  Puis avec un sourire forcé : 

     

    Maintenant le conte est fini

    Mon petit Wald va faire son pipi

    Aussitôt il faut filer au lit

    Je viendrai lui faire un bisou

    Tout chaud dans ses oreilles et son cou.

    Papy va lire quelques instants une bande dessinée

    Ça l’aidera à changer les idées !

     

    J’y vais ! J’y vais Papy

    Mais viens que je te dise un grand merci

    Accompagné d’un gentil petit câlin

    Je vois que mon Papy en a bien besoin !

     

    Mais avant d’aller au dodo

    Mon pépé je veux aimer

    Un joli poème je vais te réciter

    Appris par moi à l’école de Kibondo

    Sur mon Angola bien aimé

    Ecoute papy :

     

    « Angola »

    Angola, N’Gola pays tropical

    Africain, lusophone et Austral

    Paradis meurtri de l’Afrique

    Ta beauté est sans égal.

     

    Peuple injustement mal traité

    Quand seras-tu enfin aimé !

     

    Ô Angola, mon joli pays

    Quand seras-tu enfin béni,

    Cinq-cents ans déjà ! Ça suffit.

     

    Réveillez-vous les Orishas africains

    Et toi belle Oshum, déesse des rivières !

    Sors des pantalons de Shangô,

    Couvre-toi de jaunes parures,

    Va chercher ton miroir,

    Détourne ton cours d’eau,

    Dépose sur la table des convives

    Un joli vase de verre transparent,

    Embellis de fleurs tropicales :

    Un pied, droit, fier, puis deux et trois

    Jaunes-verts-rouges d'Heliniconia

    Becs de perroquet,

    Pinces de homard,

    Impatience de Zanzibar !

     

    Il est plus que temps Oshum

    Réveille-toi et vas ! Allez, dépêche-toi

    Mais triste aveugle, ne vois-tu que

    Mon Angola a besoin d’espoir !

     

    Arrivée à Luanda

     

    Là-haut, dans le ciel hivernal de Luanda, le soleil du mois août déchirait les chiffons de nuages blancs. A droite s’étendait le tapis vert des pelouses piétinées par quelques maisons coloniales hautaines et orgueilleuses de leur richesse. A gauche s’étendait sans fin « le Musseque », la favela angolaise, la grande et immense pauvreté au raz de sol délabrée. Des cases carrées misérables au toit de zinc se dressaient dans le rouge de la terre à l’odeur de sang. Dans la baie de Luanda, un vent capricieux sortait les cocotiers de la plage de leur somnolence et hérissait la crête des vagues, l’on dirait des moutons blancs. Une vaste esplanade, que le Gouverneur colonial avait fait construire très rapidement, certains disait à la va vite, suivait la mer pendant quelques kilomètres. Sa forme en fer à cheval élargi, la faisait ressembler à un boa prenant le soleil dans une clairière de la forêt tropicale. Grâce à ce genre de démonstration, personne ne pouvait plus douter qu'en Angola la modernité et le progrès étaient en marche, par rapport à d’autres contrées d’Afrique, où la misère et le désordre ne pouvait être qu'affligeants. Grâce à dieu et à Satan Lazar, dans ce pays, cette terre lusitanienne, depuis cinq siècles, il y avait la paix mais, aussi la discipline, l’ordre, l’autorité et la sécurité. Ailleurs, ils pouvaient continuer à crier des mensonges, mais l’Angola, dieu soit loué, dans le respect de dieu, suivait le bon chemin. D’ailleurs, il ne pouvait avoir qu’un bon chemin, le leur.

    Exactement au centre de l’esplanade construite en granit   provenant de la carrière des Lajes de Roustina, se dressait dans une posture héroïque et froide la statue de Diogo Cão. Dans la main gauche le découvreur tenait fièrement une épée en bronze déjà verdâtre à cause de l’humidité tropicale. De sa main droite, il soutenait une sphère armillaire, qui semblait trop lourde et couronnée par la croix de l'Ordre du Christ. Son regard semblait figé pour l'éternité dans le lointain. A ses pieds, un petit jardinet fleuri de becs de perroquet tentait d’apporter un peu de gaieté. Un grillage en fer forgé, peint récemment en noir et brillant sous un chaud soleil, emprisonnait lugubrement un ensemble à l’apparence très austère. Dans la partie inférieure du monument l’on pouvait lire, écrites en lettres dorées : En l’année de grâce de 1482 Diogo Cão découvrit le fleuve Zaïre et le Royaume du Congo. 

    Cela faisait donc plus de cinq siècles que la culture et la civilisation Lusitanienne en Afrique imposait sa glorieuse présence ! 

     Mais ce qui attirait l’attention du passant, c’était un mât blanc, tout en hauteur, planté énergiquement au sol. Il semblait blesser tout autant la terre qu’il pénétrait que, le ciel qu’il perçait comme une lance. Pourtant tout en haut flottait fièrement dans le ciel azuré, déchiré çà et là par des nuages blancs, un drapeau portugais exagérément démesuré. Sa taille était tellement disproportionnée, qu'il paraissait humilier l’ensemble du monument, finissant même par l’alourdir et même l’enlaidir. 

     Ainsi, légitimé par la volonté de Dieu, par le courage d'hommes illustres au passé glorieux, le Portugal commande et ordonne en Angola. 

     Comment imaginer, l’inimaginable. Il ne manquerait plus que d’autres envisagent de gouverner ce qui est nôtre. Où a-t-on vu un pays africain prospère dirigé par des africains ? Couper la canne, cueillir les grains de café, ramasser le coton, couper le sisal, ça oui les noirs peuvent le faire, mais dirigés par des blancs. Chacun à sa place et dieu à la sienne. Qu’ils finissent de nous mettre plein la vue avec leur verbiage mou des démocraties ! Seul Dieu sait ce qui est juste et Dieu sait ce qu’il fait. Haut et bas et tout le monde à sa place. 

    -             Comment lecteur, tu sembles interloqué, même révolté par de tels propos. Tu te dis : quel dieu d’amour et créateur de tous les hommes pourrait-il différencier et sous-estimer ainsi une partie de ses enfants ? Tous les hommes blancs ou noirs ne sont-ils pas des enfants de Dieu, tous égaux ? 

    -  Eh bien, figurez-vous, bande de cocos, socialos et autres rougets que vos opinions, que vos questions ne nous intéressent pas… Nous les Portugais, nous avons été chargés par le Très-Haut, le Tout Puissant de l’univers, du ciel et de la terre d’une magnanime mission, celle de faire découvrir le monde au monde avec nos caravelles. Mais ce n'était pas un but unique, sa volonté suprême était que nous y propagions Sa foi, le gouvernions en Son nom et selon Ses propres lois. 

    Alors, pas question que des mouvements indépendantistes, des rouges, ou autre racaille du même acabit vienne troubler l’ordre établi. L’ordre de notre chef prestigieux, notre cher Docteur Satan Lazar. Hors de question de composer avec ces bandits de terroristes, de pitoyables assassins, à la solde de ces matérialistes communistes de Cuba, de Chine de URSS et de tous ces gens du diable qui mènent notre monde chrétien à sa perte. Si nous les laissons faire, ces mécréants vont jeter notre pays et le monde tout entier dans des eaux croupies de l’enfer. Nous ne voulons pas de ces terres rouges du diable où polluent des grands diables cornus, poilus à la queue fourchue. Nous les amis de Satan Lazar, les vrais Portugais, sommes les derniers boucliers de défense de la civilisation chrétienne et occidentale. Chez nous nous ne voulons pas de ces rats d’égouts de Moscou, ces satanés bolcheviks ni de ces mangeurs de serpents aux yeux de riz jaune. Nous sommes chez nous ! 

    Moscou par ci, Moscou par là. Ça suffit ! Nous ne voulons pas entendre parler de ces assassins de rois et de tzars. Qu’ils restent chez eux ! Mais vous savez bien que leur saloperie de révolution, ne vaut pas un clou de la sainte croix de notre seigneur Jésus Christ. Un être humain, une vie, un pays sans Dieu, un pays sans chef de discipline et autorité finira dans le feu. Le feu éternel, m’entendez-vous athées au service du diable et faiseurs du mal en cette terre très portugaise d’Angola.

         - Angola é nossa ! Angola é nossa !

    L’Angola est à nous, vociférait un petit groupe de colons fanatiques venant assister à l’arrivée d’un nouveau bataillon de soldats au port de Luanda provenant de Lisbonne.

     

    -  Du calme lecteur. Laisse aboyer les chiens pendant que la caravane passe. Ne sais-tu pas que certains hommes se comportent comme des loups pour d’autres hommes et ceux derniers doivent, selon eux, être leurs moutons.

    - Oui des moutons mais pour rassasier leur estomac et étancher leur soif de domination selon leurs seules lois et moralités.

    - Je suis heureux que tu comprennes cela ami lecteur. Mais tu sais aussi que les royaumes, les empires ne se firent pas avec des bouquets de fleurs et en plantant des champs de pommes de terre pour nourrir tous les hommes ?

    Bien sûr que nous le comprenons, mais nous savons également que rien ne compte pour eux à par eux-mêmes.

    -  Oui ! Certes ! Mais notre devoir, en attendant, est de ne pas nous laisser manger et leur faire comprendre en même temps qu’ils doivent être des hommes et non pas des loups sauvages.  

    Et ami lecteur puisque tu es bien avisé, nous pouvons donc partir plus tranquillement à Nova Lisboa et découvrons la suite de cet exil sous l’apparence d’un voyage. Mais reste attentif lecteur à ce que certains peuvent penser dire et faire et ne prends pas pour de l’argent la moindre ferraille qui brille sous le soleil angolais.

     

    *

    « Chemin faisant vers Nova Lisboa »

    Le Chemin de la vie
    Mais le bon chemin
    On le recherche main dans la main
    L'un, trainant parfois en arrière
    L'autre tout vaillant un peu devant.
    Changer de cap
    Rebrousser chemin
    Trouver une nouvelle direction
    L'important est vouloir avancer
    Main dans la main
    En se créant une opinion
    Trouver la bonne décision
    C'est le chemin de la vie
    Plus Difficile, c'est monter la colline
    Mais Autant douce sera la descente

    O vie de froid intense
    Tu n'es que meilleure
    Dans la rencontre
    De la flamme de la terre ardente

    La vie n'est pas une montée au Calvaire
    Mais plutôt, tout le contraire !

    Mais quel est ton chemin ?
    Quel est ton bon remède
    Donne, conseille, instruis

    En paix, en tranquillité, en amie.
    Si ça vient pour bien
    Ton chemin, mais on le suit.

     

    *. 

    Le Pingouin Tropical

    -             Mais qui est donc cet étrange pingouin tropical en train de jaboter ? Claudio plus qu’interloqué, sortit la tête par la fenêtre de la jeep.

    Virginia interrogea du regard son mari et son ami de jeunesse Armando, le chauffeur, sans comprendre.  Son regard plongea à l'extérieur de la voiture, et découvrit un petit bonhomme presque écrasé au sol. Il avait un costume noir usé et trop grand pour ce rachitique tronc d’arbre sec qu’il était. Il portait une chemise blanche, râpée et souillée par une odeur forte et malodorante de transpiration. L’ensemble lui donnait l’allure maladroite d’un nouveau manchot atterri par erreur sous les tropiques ! D’une façon pataude, il essayait de soulever sa petitesse sur la pointe de ses bottes, tout en faisant le salut fasciste à la statue sereine de Diogo Cão. Celle-ci resta froide comme le granite et indifférente à ses jabotements et couinements de pingouin tropical : 

    -             L’Angola est à nous ! L’Angola est à nous ! Hurlait-il, comme pour s’en convaincre. Puis le Pingouin Tropical s’agenouilla à même le sol et se mit à prier à haute voix :

     

     « Prière du Pingouin Tropical »

     

     Oh Notre dame de Fátima

    Reine du Portugal et notre mère

    Tu es descendue sur notre terre

    Mais c’est la Sainte Russie tu veux sauver

    De tous ces rouges bolcheviques

    Matérialistes et sans dieu

    Leur place rouge infâme

    Ne pourra jamais supplanter

    Notre place blanche et son âme !

    Oh ! Notre dame de Fatima

    Reine du Portugal et notre mère

    Et de notre Église entière

    Tu nous demandes de saints sacrifices

    Beaucoup de prières pour la sauver.

    Que tous tes vœux soient exaucés !

    Amen !

    Puis le Pingouin se met en position debout en levant mais et bras vers le ciel azur :

    -             Oh Salvé Marie, reine du ciel, dans cette même année de 1917 tu as choisi notre Portugal notre humble village de Fátima pour demander à ce pays et au monde de prier pour la conversion de la Russie et de lutter contre l’orgueil sanguinaire des athées bolcheviques.

    -             Sainte Marie a élu notre pays pour indiquer le chemin fait de prière, de sacrifice qui mène à Dieu. Par la pauvreté et l’humilité nous avons l’obligation de combattre cette Europe corrompue par la modernité, l’orgueil et ces autres choses bizarres qu’ils nomment démocratie, laïcité, socialisme, communisme et autres absurdités. Notre chère patrie est le rempart de la citadelle divine qui brille dans l’abîme de la colline.

    -             Pour les siècles et les siècles ! Amen !

    - Mais qu’elles diableries est-il en train de de prier ce pingouin du diable au cœur sec débordant d’haine fraiche ?

    -             Ce n’est rien, dit Armando le chauffeur. C’est un vieil ultra, un certain Pashteka, ancien directeur de la Jeunesse Portugaise de Guardangal.  Il est arrivé en Angola, il y a une année environ, pour civiliser cette Afrique arriérée et la peupler de sang blanc !  Ce sont ses dires. Ce sont ses restes de propagande Satanlazariste. Des stupidités, mon cher Claudio ! Que peut-il peupler cet arbre sec et épineux sans fruit. C’est un vieux garçon comme notre chef de Lisbonne. Peut-être même un homosexuel. Peu importe ce qu’il est. Il y a de la place pour tout le monde. En revanche il ne peut pas y avoir de place pour de telles idées. Si ça ne change pas ce pays va droit au désastre. Pourtant avec la victoire des démocraties en quarante-cinq nous pensions que c’était leur fin. Mais ici en Angola aussi bien qu’en Métropole, ces idées ont la vie dure et prospèrent encore. La deuxième guerre Mondiale de 1939 à 1945 n’a pas fini son travail, ni en Espagne, ni au Portugal mon cher Claudio. Pour le moment il vaut mieux la fermer sinon on va finir dans les camps de la mort de Caxias, d’Aljube, de Péniche ou même de Tarrafal au Cap Vert ! Visiblement agacé par toutes les immondices sur l’Angola qui sortaient de la bouche du vieux pingouin tropical, Armando grinça des dents et respira fort comme si l’air lui manquait : 

    -              Le soleil tropical lui a séché la jugeote à ce crétin. Quant à la civilisation de progrès dont il parle, elle peut attendre 500 ans de plus. Puis se tournant vers Claudio et Virginia, Armando leur dit à voix basse.

    -             L’on raconte dans l’élite pure et dure des blancs de Luanda que la vérité serait toute autre. Ce fou, aux idées sales d’un autre temps, aurait été écarté par le pouvoir de Lisbonne de son poste de directeur de la Jeunesse Portugaise, à la suite de bourdes répétitives.  C’est que l’União Nacional, création de notre chef, souhaitait donner une image, seulement une image Claudio, plus conforme aux nouveaux temps. Alors, ils se sont débarrassés de ce pingouin, en l’exilant vers l’Afrique. Bien sûr, cela lui a été proposé comme une promotion. 

    Claudio avait effectivement reconnu au premier regard l’ancien Docteur Pashteka, c’est-à-dire l’exalté Chef et Directeur Général de la Jeunesse Portugaise dont le devoir était de distiller la propagande salazariste auprès des jeunes de plus de dix ans dans les établissements scolaires du district de Guardangal.

    Une douzaine d’années plus tôt, lorsque Claudio était en troisième il fut terrifié profondément par un discours de propagande de Pashteka aux élèves de sixième le jour de la rentrée scolaire.

    Ce fut pendant ce discours de haine et de violence à l’égard des Angolais que les jambes de Claudio se mirent à trembler comme les brandilles dans les prairies de son village les jours de fort vent de nordeste.

     Le soir même, le jeune Claudio écrivit une lettre affolée à son père David pour lui référer, qu’il préférait être berger de chèvres et de moutons à Roustina, qu’étudiant au Lycée National de Guardangal ! 

     Le traumatisme fut tel qu’à la fin des vacances de Noël, le jour où il devait retourner au Lycée de Guardangal, le petit Claudio eu une colique qui se répétait tous les trois jours.

    Ces troubles répétitifs mirent définitivement fin à la scolarité du pauvre gamin. Ainsi Claudio s’en fut grossir ainsi du glorieux club « Des études ? Mais pourquoi faire ? »

    Ce grand club, de certains millions de fans, fut fondé à partir de 1932 par le Président en Chef à vie et unique de Lisbonne au cours de ses sermons hebdomadaires de sa radio National. Pendant des heures comme ses amis de Berlin et de Rome, mais aussi comme ses ennemis, en presque tout semblables de Moscou, il formatait l’opinion et la pensée de chacun à sa façon. Et tous devaient lui obéir au doigt et à l’œil, du nord au sud du Portugal et cela sans contestation aucune possible. Malheur à celui qui oserait lever même le petit doigt. 

     En effet, le retour aux études n’eut jamais lieu et le petit Claudio devint berger. Mais un berger digne de figurer dans le tableau du peintre portugais Silva Porto (1850-1893) Guardando Rebanho. C’est que Claudio devint un dévoué et sérieux petit berger romantique. Pendant la journée jouait de la flûte à ses moutons et le soir gribouillait des bucoliques. 

    Au cours de longs mois, presque une année, ses sommeils furent parsemés de cauchemars et les nuits agitées. C’est que les discours du docteur Pashteka venaient perturber régulièrement ses sommeils noircis par des cauchemars guerriers. Pourtant sa vie champêtre était une idylle de fontaines d’eau fraiche rafraichissant brebis et moutons, verdoyant des collines grasses sous un ciel bleu et un soleil brillant de douceur où les fleurs dansaient au vent calme dans des robes de toutes les couleurs.

    Malgré cette vie pastorale le petit berger de treize ans continuait à être effrayé par le visage rouge d’ivrogne de Pashteka et son discours d’horribles méchancetés. Parfois Claudio se réveillait la nuit en plein cauchemar. Sa chemise en lin blanc était drainée par un fleuve de sueur. Dans ses cauchemars accompagnés de cris du trouble de panique, il voyait gesticuler une horrible bête aux bras courts et menaçants qui l’attrapait par la gorge cherchant à l’étouffer. En d’autres rêves la bête Pashteca vociférait du haut de son estrade de la salle de classe. Elle proclamait que le Portugal était en guerre en Afrique. Qu’il fallait écraser par le sang et sans pitié tous ces traites sauvages. 

    -             Notre patrie a besoin de vous. Notre pays a besoin de tous ses patriotes pour le défendre des terroristes, des nègres, des ennemis du Portugal et de Dieu. 

     Cette guerre épouvantait déjà Claudio. L’enfant qu’il était ne savait pas bien pourquoi, mais quelque chose dans son cœur lui disait que ce n’était pas sa guerre. Il préférait jouer avec ses moutons à la laine si douce sur les collines verdoyantes de Roustina. C’était bien plus naturel taquiner les chèvres mais qui parfois se cabraient contre lui en lui montrant des cornes menaçantes. 

     A ce moment-là et sans comprendre pourquoi, le petit Claudio aimait jouer à se faire peur et cela lui donnait la chair de poule. Mais muni de son bâton de cognassier, en forme de crosse d’évêque, il cognait par terre. La chèvre prenait peur aussi et devant la menace finissait par rentrer dans les rangs du troupeau. Claudio se sentait fier d’être berger.

     Cela c’était quand il était enfant de douze allant sur les treize ans à Roustina.

    Maintenant arrivant en Angola, une douzaine d’années plus tard, marié et père de famille, il regrettait ce choix-là.  Trop tard ! Mais son fils Wald ne serait pas berger ! Voilà ce que Claudio se promettait en silence.

     Le souvenir de Pashteka est resté pour Claudio adolescent un vrai traumatisme. 

    -             Le Pashteka ici, à Luanda ! Mais c’est impossible se dit Claudio. Il regarda la réaction de sa femme et de son vieil ami Armando. Avaient-ils entendu ses paroles silencieuses qu’il s’était dit à lui-même ? 

    -             C’est impossible ! Moi qui ai fui ce monstre quand j’étais enfant, je le retrouve en Angola alors que je suis adulte ? Serait-ce tout ceci de mauvais augure ? 

    Claudio semblait perturbé. Tout d’un coup il se laissa gagner par de la superstition.

    -    Non, ce ne pouvait pas être le Pashteka d’autrefois. Non. Je refuse d’y croire, se dit en lui-même Claudio. Ce petit tas de merde qu’il avait là, devant les yeux, était bien plus petit que celui qu'il avait vu avec ses yeux d’enfant. Dix-sept ans s’étaient passés depuis cet événement traumatisant. Comme il détestait ce croûton de vieux fasciste, il le haïssait même. S’il n'avait pas été accompagné par son ami Armando, sa femme, Virginie et son bébé, il l’aurait envoyé d’une fois pour toutes en enfer, et le ferait damner par tous les diables. Puis sentant la colère remonter en lui sans parvenir toutefois à l’occulter. 

    -    Putain de merde ! Je déteste ce virus, ce parasite de la société, ce bourreau qui avait traumatisée, pendant de larges années, des générations d’enfants et d’adolescents. Pourra-t-on pardonner un jour à ce type de crapules ? Se demandait Claudio dubitatif.

    -             Pendant des années et des années, depuis 1932, ces salauds ont lavé le cerveau à des milliers de jeunes pour ensuite les polluer avec des idées fascistes et les contaminer en y ajoutant le virus du Satanlazarisme.  Puis plus calme et regardant le ciel. 

    -             Combien d’années faudra-t-il, pour que la société de demain soit complétement endiguée du virus du fascisme italien, du Satanlazarisme, du Satanbestamontisme, du Satannazisme mais aussi du Satanstalinisme moscovite et d’ailleurs. Quelle puanteur ces créateurs de camps de concentration et goulags destructeurs de millions de consciences et de vies qui n’aspiraient qu’à vivre. 

     Puis après un moment d’interrogation Claudio se demanda encore : 

    -              Combien d’années faudra-t-il pour créer des êtres humains respectueux des autres sous la lumière gouvernante d’une démocratie qui permet à chaque individu dans ses différences de s’y réaliser librement ? 

    Maintenant les traits du visage plus détendus et le raisonnement plus sage : 

     Peut-être faudra-t-il pardonner. Pardonner pour ne pas continuer à alimenter la haine. Oui, pardonner à ces crapules sans cœur, c’est les faire douter de leurs certitudes, leur montrer qu’il y a d’autres chemins. Mieux, leur montrer que l’homme n’est pas un, mais multiple, dans la richesse de la diversité. Oui, leur montrer à ces monstres inhumains qu’il y a de la place pour tous, dans ce pays, dans cette Europe et dans ce Monde.

    – Non, Messieurs Salazar, Franco, Hitler, Pétain, Staline, Mao d’hier et d’aujourd’hui encore. Non ! Le chef n’a pas toujours raison ! Criait en silence Claudio.

    Dans son monologue intérieur Claudio parvenait de plus en plus à préciser sa pensée de ses valeurs.

    - En outre, la vengeance ne ferait que placer les victimes d’aujourd’hui au même niveau que les tortionnaires d’hier. Cependant, le jour où la démocratie sortira du brouillard, car la brume finira bien par se lever, la justice devra être faite pour tous ces jeunes, et tous ces êtres humains qui ont été traumatisés, dans leur tête, dans leur cœur, et trop souvent dans leur corps. Ces salauds devront répondre de leurs actes. 

    - Mais Claudio tu parles tout seul ? Lui demanda sa femme.

    - Non Virginia ! Mais qu’est-ce que tu racontes ! Non Virginia ! Mentit Claudio quelque peu agacé et décontenancé.

    - Pardon, mon chéri. Je croyais. Dit Virginia avec un sourire ironique.

    - Ce n’est rien Claudio, lui dit Armando, qui voyait clair et qui craignit soudain que le que le passé troublé de de son ami ne revienne à la surface.

    - Ne t’inquiète pas Armando tout va bien !

    Claudio je te défends de faire comme la huppe, qui passe sa vie à gratter la merde des bouses de vache. Il faut laisser le passé au passé. Maintenant mon ami, tu es en Angola, en compagnie de ta femme et du petit Wald. Tu n’es pas seul et moi je ne serai pas loin en cas de besoin. De plus notre Angola est un beau pays avec plein d’avenir.  Mon Claudio, maintenant il faut regarder la vie devant

    - Merci ! Merci Armando !  Je voulais dire que ...

    - Claudio jette le passé de la métropole aux orties ! 

                    Vite ! Vite ! Redémarre la voiture Armando, dit Claudio, sinon 

    Je vais casser la figure à ce pingouin. 

     

    *

    « Pashteka ou la danse de ses vampires »  d
     La P.I.D.E.

    (Policia Internacional de Defesa do Estado)

     Un, deux, trois ...Tabarin ! Tabarin !

    En arrière un pas

    En avant un, deux et trois ... !

    Et Maintenant ! Un, deux, trois

    Et Maintenant jetons ces corps inanimés,

    Ces sales rouges, ces salopes potiches

    Dans la prison forteresse de Péniche !

    Bon débarras ! Un, deux ! ... Et trois !

    Nettoyons ! Prends ces juifs salauds

    Par les pattes et les bras ! Jetons !

    Jetons encore plus loin !

    Bon débarras ! Un, deux !... Nettoyons !

    Et trois ! Attrape-moi Ces mous !

    Par les cheveux ! Par les deux patates !

    Fous-moi tous ces bandits démocrates

    A Caxias ! En prison ! En prison !

    Jette-moi toute cette merde mole

    Hors de « Notre » Héroïque Portugal

    Bon débarras ! Un, deux !... Nettoyons !

    Toute cette traitresse opposition

    Seul Satan Lazar a toujours raison

    Débarrassons ! Un, deux, trois ! Jetons !

    Jetons-les tous ! Au camp de Concentration

     

    Et Pendant 10

    Et Pendant 20

    Et Pendant 30

    « Puta madre de diez ! »

    Pendant plus de 40 ans !

     

    Tous ! Hors de « Notre » Héroïque Portugal !

    Rouges, juifs, socialos, anarchos, bolchos, gauchos, cocos, homos, ordures, démocrates ...

    Tous ! A Aljube ! Tous ! Tous ! A Peniche

    Mais jetons-les tous ! Au camp de concentration de Tarrafal !

     

    *

    Réfugié dans sa caverne

    Claudio se recroquevilla contre la porte de la jeep. S’il pouvait au moins échapper au regard de ses compagnons de voyage. Son envie immédiate serait de se cacher au fond d’une caverne. S'étaient-ils rendu compte de quelque chose. Peut-être pas, mieux valait faire semblant de rien, ne pas en rajouter.

    -         J’ai un coup de barre. Je crois que je vais m’assoupir quelques minutes, dit Claudio en se réfugiant dans sa fuite. 

    -         Mais oui, mon chéri, pique ton petit somme ! Tu as l’air un peu fatigué !

     Lui dit sa femme qui le regardait avec tendresse. Elle l'aimait tant son Claudio. Elle adorait quand il la prenait dans ses bras, quand il lui déposait des baisers tendres sur les lèvres, quand il lui murmurait à l'oreille des mots d'amour. 

             - Oui, mon chéri repose-toi tranquillement, je veille sur toi !

    Armando se mit à rire pour détendre l’atmosphère.

    -              C'est peut-être l’effet de la chaleur. A moins que ce ne soit le décalage horaire. Ah, non, j’ai compris, je crois que tu as été piqué par la mouche tsé-tsé à ton arrivée à Luanda ! 

    Mais Claudio n’entendait plus. Il dormait déjà à poings fermés, comme le paresseux accroché à une branche.

    Virginia veillait sur son bébé allongé à côté d’elle sur la banquette arrière de la jeep. Mais elle jeta un dernier regard de soulagement à travers la lunette arrière de voiture. Celle-ci était déjà salie par la poussière rouge de la route. Mais elle voyait quand même disparaître, de plus en plus loin, la silhouette du Pingouin. Son crâne couleur de cire luisait. Ce n’était plus qu’un point au milieu d’une tache noire. Elle se demandait, un peu angoissée, quelles autres étranges surprises ils allaient trouver dans cet Angola qu’ils ne connaissaient que par le cours de géographie de Cm1. Tant d’années étaient passées depuis cette époque, mais des mots, des phrases des cours de géographie raisonnaient encore dans sa tête : 

    -    La capitale de l’Angola est Luanda. Sa superficie est de 1 200 000 km2. Cette province ultramarine est quatorze fois plus grande que le Portugal.

    -      Le Portugal est divisé en provinces, mais comment est-il possible qu’une de ses provinces soit plus grande que notre Portugal s’était demandé Virginia Peres la 1ère élève de la classe de CM2. Elle fixa la maitresse Mlle Imelda du regard en entendant cela, mais il était hors de question de mettre en cause son savoir et encore moins de l’interrompre. 

    Mlle Imelda poursuit son exposé en affirmant d’une voix sure et convaincante :

    -             C’est la plus riche de nos provinces d’outre-mer. Elle produit du pétrole, des diamants du café, de la canne à sucre, du…

    -             Ah ! Ah ! Ahah ! La plus riche ! Ah ! La richesse tant convoitée, se dit-elle à elle-même. La petite Virginia comprenait de plus en plus la vérité cachée au fur et à mesure que la maitresse dispensait son enseignement. 

    -              Mais dans quelle partie du monde a-t-on déjà vu d’une façon naturelle une province quatorze fois plus grande qu’un pays ou une nation ? Non ! Non ! Cela ne se pouvait pas. Cela était logiquement impossible. Puis elle se dit encore. 

    Dans le vieux livre de géographie qui avait déjà appartenu à son père Alexandre Peres était écrit noir sur blanc que l’Angola était une colonie portugaise et non pas une province. 

    -              Ça doit être cela cette chose barbare que l’on appelle le colonialisme. Elle avait entendu ce mot sans le comprendre chez le maître des grands de Cm2 lors d’une discussion animée avec Mlle Imelda la maitresse des Ce1 et des Ce2. Virginia avait compris aussi que malgré les yeux doux du maitre à l’égard de sa maitresse ils discordaient sur certains points d’histoire et pas uniquement. Maintenant elle avait aussi la preuve que les ragots du village, sur les amourettes des maitres n’étaient pas non plus une fumée.  

    -             Oui !  Oui ! Je comprends maintenant. Se dit en elle-même Virginia que malgré son jeune âge commença à se rendre compte qu’il fallait lire aussi entre les lignes. Puis elle conclut. 

    -             La vérité, c’est que le Portugal occupe ce pays lointain pour ses richesses et en a fait une colonie ou une province. Cela n’était qu’un jeu de mots trompeur mais, qu’en réalité signifiait la même chose. Bonnet blanc, blanc bonnet !   

     

    *** 

     

    Mais en ce samedi du mois d’août de la fin des années quarante, Virginia n’était plus la première élève de la classe de Cm2 de l’école primaire de Roustina. Comme le temps avait passé vite. L’on dirait que c’était hier. Maintenant chemin faisant vers Nova Lisboa elle était une femme, une femme mariée. Elle était en Afrique tropicale au sud de l’équateur, en Angola, avec son Claudio, avec Armando son ami de classe, mais aussi avec son si jeune enfant seulement de quelques semaines, dans son giron. Elle n’était pas triste, elle n’était pas gaie non plus. Cependant Virginia avec une certaine inquiétude s’interrogeait sur leur avenir à tous les trois. L’exil avait été si rapide, si précipité, si blessant. Tout avait été décidé et fait dans la précipitation. Jetés tous les trois du village comme des criminels, comme des mal propres. Quel mal avait fait son petit.

    Mais cette inquiétude tout le monde la ressentait dans la jeep

    Un seul ne semblait ni inquiet ni se posait des questions sur l’avenir, l’enfant, qui dormait à poings fermés !

    *

    Mais de quoi sera fait demain ?

    Demain...Demain...

    De quoi sera fait demain ?

    Mais de la pâte de bon pain

    De la sueur brillante de ton front

    Car du ciel n'arrive, mon amie

    Que Soleil chaleur froid et pluie

    Déjà beaucoup, affirme Tonton

    De quoi sera fait demain !

    Question inutile, paresseux bonhomme

    Ne le demande donc à personne

    N'interpelle pas le sanhédrin

    Encore moins les pharisiens

    N’interroge pas l'ami Nicodème

    Mais pose la question à toi-même !

    De quoi sera fait demain ?

    Le demain de nous dépend

    L'avenir est dans nos mains !

    Avec des défauts et qualités

    Dites du diable et plus encore de dieu

    Nous sommes des héros et des saints

    Le cœur en or flottant au vent

    Un sourire blanc habillé de bleu

    Un visage rose auréolé de vert

    Une grande imagination illuminée

    Aussi grande que le firmament

    Plein d'étoiles étincelant dans les yeux.

    De quoi sera fait demain ?

    Le demain de nous dépend

    L’avenir est dans nos mains !

    Avec des défauts et qualités

    Dites du diable et plus encore de dieu

    Ne va pas les mains croisées

    Par terre à genoux prier

    Tous ces diables et dieux inventés !

    Point de peurs ni de hontes

    Ils ne sont que des contes

    Définitions de bonnes ou mauvaises idées

    Pour agrémenter ou anesthésier

    La difficile, parfois agréable réalité

    Les Pères Noëls sont la paternité

    Nos angoisses savent protéger ... Mais...

    A toit de séparer le bon grain de l'ivraie

    Nous sommes de petits et grands enfants

    Devant l'inconnu, besoin d'être rassurés...Mais

    De l'origine de la vie, point de prière à Marie

    C'est que face à cette omnipotente morte

    Nous faisons dans la jupe et le pantalon

    Avec beaucoup de raison et autant de tord

    Mais qui es-tu, nom de dieu de mort ?

    Es-tu le mauvais diable ou le bon dieu ?

    Serais-tu le repos et l'éternel sommeil

    La Mer calme sans vent pour onduler !

    La force tranquille de la vaste sérénité,

    Me sermonne saint Antoine de Lisbonne

    Dans la pupille verte et rouge de mes yeux !

    Si aujourd'hui et demain

    Tu veux avoir un bon et droit chemin

    Il faudra bien savoir préparer le bon pain

    A la sueur brillante de ton front !

    Sans Papa, ni Pépère, ni Tonton

    Ne va pas toujours quémander

    Ce que tu dois faire et fabriquer,

    Homme, tête haute, échine levée

    Cœur ouvert chemise au vent

    Marche libre et tranquille vers demain...

     

    *

    Environ vingt-cinq ans s’étaient écoulés. Les cours de géographie, d’histoire, de religion et moral faisaient partie d’un passé lointain. Ce samedi Virginia était en train de rouler dans une vieille jeep avec trois hommes, Armando, son Claudio et Wald, son petit bout de choux. Mais celui-ci étant donné son tendre âge comptait à peine comme quatrième passager.

     Les adultes avaient été des camarades, dans la même école, mais pas dans la même classe. En effet, Virginia plus chipie, mais surtout très douée et en particulier pour l’histoire et les lettres avait une classe d’avance. Si Virginia avait été un garçon elle aurait déjà été recrutée par les instances gouvernementales pour le bien de la nation. C’est qu’il fallait éviter, à tout prix et au plus vite, que les cerveaux particulièrement vifs, éveillés, précoces venant de la campagne ne se mettent au service de celle-ci et bien sûr au détriment du donneur de leçons de Lisbonne.

    Le fruit prohibé de ses entrailles, Wald porte le prénom d’un poète brésilien d’origine germanique. Il signifie la Forêt. Ce prénom fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase de l’intolérance bienpensante de Roustina. Le mioche en plus d’avoir été conçu dans le péché portait un prénom des diables de la forêt. C’était vraiment plus que contrarier sinon salir la tradition très catholique autant du village que du pays.

    N’avons-nous pas assez de Joaquim, Manuel, Francisco, Antonio etc des prénoms bien portugais de chez nous ? N’avait-on pas assez de prénoms chrétiens dans le Nouveau Testament sans même avoir besoin de feuilleter la Bible ancienne des assassins de Notre Seigneur Jésus Christ ! Il y en avait vraiment assez de cet avorton barbare au village et de cette famille aux mœurs sataniques. S’ils n’aiment pas le pays qu’ils s’en aillent, qu’on les mette dehors ! dehors ! Mais qu’on les jette en Afrique, en Afrique ! Et vite !

    Mais maintenant cela faisait partie d’un passé révolu qu’il valait mieux jeter dans le panier des oubliettes et cela pour le bien de tous les quatre.

     

    Armando depuis quatre ans est devenu propriétaire, d’une plantation moyenne de canne à sucre, mais aussi de tabac, de coton, sans oublier des petites terres en pente dans la colline dites des Kimbundus produisant quelques tonnes de bon café arabica. 

    Sa plantation de canne se trouve à une vingtaine de kilomètres de Nova Lisboa. Cette ville est la capitale régionale se situant en hauteur et au centre d’un plateau portant le nom de Huambo. Ses terres agricoles sont rouges et particulièrement fertiles. Le climat est tempéré et rappelle quelque peu celui du nord du Portugal.

    Tout le monde a trouvé comme il pouvait sa place dans la jeep. Peu de kilomètres après Luanda la jeep blanche est devenue rougeâtre à cause de la poussière. Armando conduit sans trop de secousses. Il insinue que sa jeep est docile et en même temps caractérielle comme un âne. L’angolais, depuis presque cinq ans déjà, prétend même que sa jeep n’a nullement besoin d’être conduite tellement elle connaît par cœur le moindre nid de poule de la route entre Luanda et Nova Lisboa. Parfois à entendre parler Armando sur sa jeep on a l’impression qu’il parle de sa machine comme si elle fût une personne, une vieille compagne.

    De son côté Claudio a complètement oublié le Pingouin Tropical. A présent il rit et fait semblant de chantonner comme un pinson. Sa chemise blanche fait ressortir le rouge d’écrevisse de son visage. 

    On pourrait presque lire dans son visage qu’il veut séduire une seconde fois sa femme. 

    - Je retrouve mon beau Claudio, le séducteur, celui qui voulait plaire à la maîtresse d’école autant qu’aux filles de la classe, dit Armando content et heureux de retrouver dans la gaité son ami d’enfance. 

    Cependant Claudio papa ne réagit point à la plaisanterie de son ami. Calé au fond du siège du copilote, et comme s’il avait mangé du lion, il était heureux et prêt à faire face aux cahotements d’antilope de la jeep.  Maintenant il se sentait avec du courage pour parer à tous les mauvais coups de leur vie à venir en Angola. La vie parfois joue des tours. Mais que faire sinon aller de l’avant et essayer de gagner à chaque fois. Néanmoins il n’avait jamais imaginé auparavant mettre ses pieds en Afrique. 

    Virginia disposait de tout l’espace de la place arrière de la voiture. Elle était tout occupée par ce que représentait sa progéniture. Confiante, elle l’était. De toute façon sa vie en Angola ne pouvait pas être pire que celle qu’elle avait connue dans son village situé dans les versant nord des plateaux de la Serra de Estrela qui étaient enneigés et froids en hiver et chauds et brulants et secs en été.

     

    **

    Madame La Jeep

    La jeep ne s’occupait de personne tout en veillant sur tout le monde.

    -             Je vais leur montrer à tous et en particulier au petit bonhomme, dont elle enviait la jeunesse et l’avenir. 

    -             Mais que croient-ils les autres. Je ne suis pas encore un tas de ferraille comme le prétend mon nouveau patron. 

    La jeep, de plus en plus rouge de poussière roulait vaillante et sereine, presque heureuse, comme lors des promenades du dimanche en famille. Elle était presque contente de se revoir en train de rouler sur un morceau de route asphaltée en bordure du lac Ki lunda dans la petite ville pittoresque de Fonda. Tout en faisant attention à ne pas sortir du tapis de bitume noir, elle posait un œil de phare attentif sur la route et un autre curieux sur le joli lac 

                    Que c’est beau un lac, se dit elle ! Si on pouvait se mettre un instant les pieds dans l’eau et se rafraîchir de la chaleur avant d’entamer les premières hauteurs du plateau de Huambo. Oh ! Notre dame de Muxima, ce serait le paradis dans ce pays !

    Mais personne ne semblait s’intéresser aux peines de la monture à quatre roues.

    Du côté des passagers les sauts de la voiture sur les nids de poule avaient eu raison de Claudio. Il avait dormi comme un paresseux d’Amérique centrale non pas suspendu à l’envers d’un arbre tropical mais accroché aux poignées intérieures de la jeep. Mais un long saut de la jeep, aussi long que celui d’un impala, sur un nid de poule l’avait réveillé. Mais il avait encore les plus grandes peines du monde pour sortir de sa léthargie.

    -             Où sommes-nous déjà Armando, demande Claudio ayant perdu la notion de l’heure ainsi que de la distance parcourue et même du lieu où il se trouvait.

    -              Mais nous sommes en Angola, mon N’Gola ! lui répondit Armando avec un semblant d’ironie dans les lèvres. 

    Claudio décidément n’était pas tout-à-fait réveillé. Il semblait encore avoir la tête ailleurs, dans un passé pas si lointain habité par des troubles de panique et d’inquiétude. Son asthme se fit sentir. Comme un poisson, il tentait de sortir la tête de l’eau pour chercher de l’air. Sa respiration était difficile et étouffée.

    En même temps qu’il s’étirait discrètement les bras, il projetait fixement son regard sur le lointain de la route. L’on dirait que Claudio essayait d’y trouver le nouveau chemin de sa vie. Pas uniquement de la sienne, mais aussi celle de sa petite famille. C’est que maintenant il ne parlait, ne pensait plus à la première personne. Il ne disait plus « je » mais « nous » ! En prononçant ce dernier mot il y trouvait de la responsabilité, mais aussi un grand bonheur et un plaisir de vivre.        

    -             Qu’est-ce que ce pays va nous réserver ? Claudio s'interrogeait en silence. 

     Le départ du village avait été si précipité.  Le curé et les autres l’avaient mis dans la rue comme un voleur. Ils l’avaient exilé comme un traître, comme un salaud, pas uniquement lui et sa femme, mais aussi le bébé. Tous les trois virés comme des malpropres. Même Le bébé si petit, d’une semaine à peine ! Comment ont-ils pu s’attaquer a si petit, à si jeune, à ce bébé innocent ! Quel mal avait-il fait son petit Wald ?

    Il n’osait pas vraiment évoquer cette tragédie avec sa Virginia, car il savait qu’elle était une femme sensible. Elle avait déjà pleuré assez et il fallait éviter de remuer davantage le couteau dans la plaie encore trop saignante de ce drame.  

    -             Pauvre créature ! Comment Monsieur le curé une personne qui se voulait guide d’une religion d’amour et de pardon ? Comment ces personnes argentées du village qui s’affichaient comme modèles du respect ? Comment Dieu avait-il pu accepter cet acte ignoble. Même les animaux sauvages des montagnes ou des forêts ne le commettraient jamais. Comment ces hommes, ces femmes amis de ce curé Trampoline avaient-ils pu monter toute cette mascarade dépourvue de sentiments humains ? Comment ont-ils pu faire cela ?  Ma femme, mon fils, moi-même, qu'avons-nous fait de mal ? Était-ce condamnable de s'être aimé passionnément, d’avoir donné la vie, d'avoir conçu un enfant, juste trois mois avant le mariage ? Quelle morale digne de ce nom, quel régime de sagesse peut-il condamner l’amour et la vie ? 

     

    Pourquoi ? Mais pourquoi ?

    Est-elle morale

    Est-elle juste la loi

    Qui transforme l’amour en péché

    Qui punit l’innocence d’un bébé ?

     

    Le Flamboyant

    Après le virage à gauche la route s’écartait maintenant du lac Ki lunda et s’enfonçait vers le sud plus à l'intérieur des terres. La jeep prit de la vitesse, tout en essayant de s’écarter des nids de poules, qui étaient de plus en plus nombreux. Tout d’un coup Claudio aperçut un magnifique arbre tout couvert de fleurs rouges. 

     -  C’est quoi ce bel arbre ? Dit Claudio avec curiosité et admiration. Mais aussitôt sa femme renchérit :

    - Il n’est pas seulement beau, il est magnifique. Jamais je n’ai vu un aussi bel arbre, cria-t-elle avec admiration et stupéfaction

    - C’est un flamboyant. Vous n’avez pas fini de voir de belles choses dans ce pays ! Dit Armando content que ses amis soient sensibles à la beauté de son Angola. Lui aussi, aussitôt arrivé de métropole, est tombé amoureux de ce pays, de ses paysages mais aussi de ses gens. Il était aussi très heureux que son ami d’enfance vienne le rejoindre. Le pays avait besoin de gens comme lui. 

    La main autoritariste et dure de Lisbonne ne pouvait pas durer toute une éternité. Un jour, elle finirait bien par se briser et tomber, comme un fruit pourri. De plus la grande majorité d’une société ne peut pas continuer indéfiniment à se faire manipuler, à se faire exploiter économiquement vivant dans un statut de pauvreté, indigne d’un être humain, ne lui permettant pas de se réaliser tandis qu’une toute petite minorité de cette même société vit dans l’opulence, étale sa richesse, méprise, menace, emprisonne, assassine la moindre envie de contestation et libération. L’immigration intensive, vers les démocraties prospères de l’Europe, de la population et essentiellement des villages délaissés, abandonnés par la gouvernance de la cellule monastique de São Bento ne peut pas être continuellement le seul chemin de sortie d’un peuple pour fuir la vie misérable et quotidienne, dans un pays qui leur donna certes la vie mais, une vie végétative par manque de soleil de lumière nécessaires à toute vitalité, épanouissement, tant des plantes, que des êtres humains. 

    Non ! Cela ne peut pas continuer encore pendant des décennies et des décennies !  D’autant plus que la liberté, le progrès, s’installaient partout en Europe occidentale. 

    Le Portugal de Satan Lazar et l’Espagne de Bestamontes n'allaient quand même pas rester éternellement dans cette longue nuit à l’écart de la liberté, de la démocratie, des lumières culturelles, du bienêtre social dont faisaient écho les revenants temporaires du mois d’août au village, dont le seul changement étaient des maisons vides et abandonnées tombant en ruines, des champs en friche envahis par les ronces, des vieux malmenés par la vieillesse et la solitude, se demandant comment faire face à la mort qui rodait prématurément.

    Il fallait aussi que dans cette belle contrée de l'Afrique, aux terres favorisées par les dieux de la nature, arrive un air de liberté, un clair de lune, où européens, africains, et métis, main dans la main, construisent un Angola arc-en-ciel.

    Sinon, le risque serait que ce pays tombe dans la guerre civile ou dans l’autre enfer rouge couleur de sang, de procès de masse expéditifs à la chaine se terminant inéluctablement par la mort des innocents coupables. Qu’auraient-ils de mieux, ces chinois, ces soviétiques nullement communistes pour le bien commun mais, en faveur des privilèges de la nomenklatura à nous offrir, sinon les goulags et les camps de concentration. Ce serait fuir un diable assassin pour tomber avec un diable meurtrier et en attendant une vie de lièvre craintif essayant d’échapper à l’arme sans état d’âme du chasseur au titre mensonger du bon petit père du peuple !

    Armando se mit à rêver, il n’évitait plus les nids de poules, mais au contraire semblait   rouler dessus à toute allure en y prenant un plaisir évident. 

     Claudio se tourna vers le chauffeur et regarda avec étonnement cette manière de conduire. Armando lui répondit avec un sourire bienveillant qui voulait dire que, c’était la conduite la mieux adaptée à la circonstance. Puis il ajouta avec humour. 

                    Mais ce sont les routes du progrès, du développement angolais dont se vente tant notre Soleil Sombre de Lisbonne. Regarde ces chaussées Claudio. Elles sont à l’image de notre Angola et peut-être même des zones d’ombre du dit Sombre Soleil. Les routes aux nids de poule ! 

     En disant ces mots, l’agacement se développait sur les traits de son visage blême d’effroi, marqué par le soleil tropical. Une certaine fatigue semblait l’envahir aussi. Sans le vouloir Armando se laissa vaincre par un profond bâillement. Comme pour s’excuser et maîtriser ses mauvaises pensées, il se força à faire un large sourire.  Son visage pris l'allure d'une plaine ensemencée de la plus sereine des tranquillités.

    Ce bref sourire avait fait changer son visage à l’allure d’une averse tropicale qui après avoir déversé des cordes d’eau et l’obscurité, réinstalle le soleil et la lumière aussi vite qu’elle les avait chassés.

    Maintenant, sur son visage l’on pouvait entrevoir même, la blancheur lumineuse et rieuse d’un champ de coton au moment de la récolte. Bien que sa pensée soit parfois traversée par les tristesses du mauvais temps lié aux circonstances du difficile quotidien, c’était un plaisir de vivre sous les tropiques angolais et en particulier sous le climat tempéré de Nova Lisboa qui lui faisait rappeler son nord du Portugal. Puis se tournant vers Claudio : 

     

    ***

    Pas de billet de retour

    Ne t’inquiète pas, mon Claudio, tu vas aimer cet Angola. Oui, vous allez aimer ce pays. Mais seulement, si vous savez le regarder tel qu’il est, si vous savez voir avec votre cœur ces gens, ces paysages. Sinon ce sera une peine perdue. Après un court silence il ajouta.

    -             C’est qu’il y a ici des métros qui arrivent ici avec un air dominateur et un mépris de vieux colon.

    Claudio endormi peut-être par le cahotement de la jeep ne comprenait pas encore la portée et la signification de ces mots mystérieux qui lui semblaient bien vagues. Étaient-ils, ces mots, de bonne au mauvais augure, se demanda-t-il.

    Mais Virginia répondit au chauffeur du tac au tac sans imaginer le moins du monde ce qui malheureusement aller arriver quelques années plus tard :

    -             Mais mon cher Armando, quelle idée ! Nous n’avons pas prévu de billet de retour. Si à Rome il faut être romain, mon mari et moi à partir de maintenant en Angola nous sommes des Angolais. Puis attirant son regard sur son fils en train de téter, comme pour lui dire que son bébé était l’Angola et aussi son avenir. Ensuite elle baissa ses yeux attentionnés sur son bébé le retourna avec douceur sur le ventre pour qu’il fasse son rot, en même temps qu'elle cachait son sein.  

    Armando ne put cacher le plaisir qui lui procuraient les paroles de Virginia et ajouta. Comme il aurait aimé avoir une femme au cœur et acabit de Virginia.

    -             Tu es la Pénélope de N’Gola et la Passionaria de l’Angola. 

    Si la parole était avec Virginia les yeux d’Armando étaient toujours braqués sur la route. Ses pieds jouaient sur les pédales. Par moments l’on entendait des craquements provenant de la boîte à vitesses. Ses mains caressaient légèrement et avec soin le levier de vitesses de la jeep. Sur la route, il se comportait comme un chasseur surveillant sa proie dans la caatinga, tout en expliquant pourquoi il conduisait de la sorte, sur les routes angolaises : 

    - Si tu as besoin de te reposer, ne te gêne pas. Surtout ne t’inquiète pas de ma conduite mon Claudio. C’est qu’ainsi les roues de la jeep sautent sur les trous de la chaussée, comme nos « palancas » noires bondissent en courant devant les crocs des lionnes qui les chassent. Si on ne conduit pas de cette façon, les essieux de la jeep risquent de se casser. Après c’est la galère. Il faut patienter sous le soleil la pièce qui se fera attendre, un, deux, trois jours, voir une semaine.

    En effet, le modernisme décalé et les non-progrès routiers de Satan Lazar en Afrique, avaient fini par endormir bébé. Virginia s’était assoupi aussi. Sa tête faisait le mouvement du yoyo. Quant à Claudio, il regardait attentivement à travers le pare-brise couvert de la poussière rougeâtre de la route. Il tentait d’oublier les saloperies du curé qui lui revenaient par intermittence. Mais ce qui le révoltait le plus et qu’il ne parvenait pas encore à oublier malgré la durée du voyage en bateau de Lisbonne à Luanda en passant par le Cap vert pour y débarquer un bataillon de jeunes recrues et même une journée à quai à Bissau pour récupérer d’autres soldats, c’était la honte qu’il avait ressentie en quittant le village et la douleur de séparation de son père bien aimé. Celui-ci ne dit rien ou presque en paroles tant son cœur était blessé par l’ignominie infligée à son fils, son fils unique.  

     

    *

    Mon Claudio

    Mon ombre de la vie

    Fragile comme brindille

    Sous la force virulente du vent

    S’essoufflant en montant la colline

    S’écrasant sous le soleil d’été comme de printemps

    Laissant son âme dans la traversée du désert étouffant

    Ô ombre de la vie perdant son sang, dans la coulée de boue d’une inondation

    Ô ombre triste de la vie

    Mais que fais-tu de toi, de ton destin ?

    Serais-tu tourmente violente,

    Pensée étouffée de chaque instant

    Morsure vive brulante comme volcan

    Qui jour et nuit s’acharne virevoltante

    Ecrasant ce cœur ardant, poussif, haletant

    Aboyant dans le trou vide comme chien mourant

    Les yeux perdus dans le noir obscur du firmament

    le regard cloué par le feu des étoiles sentant venir la fin !

    Mais ô ombre de la vie

    Pourquoi tu t’acharnes sur ce cœur que crie

    Tu marches pesante dans les ténèbres de l’obscurité

    Eteignant un à un les phares de lumière de la haute mer

    O corps abimé, caverne cachée, source d’eau de vie décapitée

    Tu cours sacrée ennemie par la vallée de larmes infâme et impie

    Pourtant ventre de volcan

    Crachant vieilleries à tout vent,

    Il n’y pas de chaines,

    Il n’y a pas plaie qui saigne,

    Rien,

    Rien que cette vie sans fin,

    Rien que cette vie qui s’allonge,

    Qui ronge,

    Rien,

    Mais où es-tu lumière du matin,

    Je t’attends regard ouvert de demain,

    Ombre de la vie,

    Tu ne peux pas être larmes de chagrin,

    Ombre de la vie sans chemin !...

    Ombre et soleil

    Les deux couleurs de la vie

    A moins que le clair de lune

    Soit ailleurs dans un ciel azuré

    Couvert de nuances de bleu, vert, rouge vermeil

    Tombant en cordes de pluie

    Sur toi triste ombre de toute vie !

     

    Mon Claudio

    Mon ombre de la vie

    Fragile comme brindille

    Sous la force virulente du vent

    S’essoufflant en montant la colline

    S’écrasant sous le soleil d’été comme de printemps

    Laissant son âme dans la traversée du désert étouffant

     

    (Ton père David)

    *

    Paysages de l’Angola

    La jeep semblait ne s’occuper de personne. Elle se donnait entièrement à sa tâche. Elle roulait, roulait et de temps en temps elle sautait. Kilomètre après kilomètre, elle continuait à ronronner tranquillement sur du plat. En revanche en côte, à la moindre accélération, elle rugissait comme un lion en cage. Sur les trous de la route de Satan Lazar, elle sautait sur les nids de poule avec l’élégance d’un impala en pleine course.

     Le paysage angolais, jamais monotone, lui arrivait à toute vitesse en pleine figure. A son tour la jeep, malgré son âge, semblait le pénétrer avec plaisir et semblait goûter l'aventure. 

    L’Angola est à nous, semblait-elle dire avec amour et délectation au fur et à mesure qu’elle digérait les kilomètres. Des terres rouges défilaient de plus en plus vite. Après des petites collines, ondoyantes dans une mer de verdure, s’étendaient à perte de vue des terres grasses. Celles-ci étaient riches, zébrées en couleurs allant du vert foncé au vert clair. Il y avait continuellement un vent qui apportait du bien être sous cette chaleur tropicale. Mais c’était un vent, doux et vigoureux, comme un jeune de vingt ans. L’on dirait qu’il prenait du plaisir à faire danser une mer infinie couleur d’espérance. 

    -   C’est du maïs, demanda Claudio étonné. Ce qu’il peut être grand ! Incroyable ! Je n’en avais jamais vu de si haut !

    - Mais non, mon petit Claudio ! Dit Armando avec un sourire bienveillant. C’est de la Canne à sucre ! Nous en avons des kilomètres et des Kilomètres carrés de surface ! La canne se plaît ici Claudio. C’est une variété venant de Madère qui s’adapte bien à cette terre et à ce climat. Puis Armando ajouta :

    -    Comme vous pouvez le voir cette terre angolaise n’a rien à voir avec la terre dure comme des os de Roustina. De plus au village la majorité des terres étaient parsemées de pierraille.

    -    Oh ! Là ! Là ! Là ! Tellement de pierres que par endroits l’on aurait dit une mer de cailloux. Que c’était difficile d’y faire pénétrer aussi bien le socle de l’araire que de la charrue. Les récoltes étaient si mauvaises que l’on parvenait à peine à payer les engrais. De plus quand l’eau venait à manquer c’était une misère ! Oui une misère. Puis Claudio se mit à rire en disant : 

    -    C'est impossible que Jésus soit passé par là ! Et s’il y est passé c’est en étant poursuivi par les Pharisiens à coups de pierre provenant du mont Carmel ! 

    -   Crois-le si tu veux Armando, mais à mon avis, c’est pour cela qu’à Roustina certaines personnes, tu vois de qui je veux parler, ont la tête plus dure que les pierres et le cœur plus froid que le marbre ! Virginia parlait avec sarcasme. Elle avait besoin de dénoncer la vision étroite de ces gens qui les avaient chassés de leur village.

     

    ***

     

    Depuis l’épisode du Pingouin tropical, une joie ponctuelle alternait avec un certain malaise, venant du passé. Celui-ci s'était introduit dans l’horizon fermé de l'habitacle de la jeep. Armando en bon connaisseur des maux de ce passé se comporta en bon psychologue.

    Il remédia à ce problème en ouvrant totalement la capote de la jeep. Cela permit de voir une fenêtre de ciel bleu qui s’ouvrait sur un troupeau infini de moutons dessinés par des nuages blancs. Il y avait aussi, là-haut, quelques taches noir-marron sur d'autres cumulus que l’on apercevait au fin fond de l’horizon. Ceux-là devaient être des chèvres.

    -              Avec ces nuages noirs, on ne sait jamais ce qu’ils augurent. Dit Armando se montrant un peu superstitieux.

     Dans le petit monde de trois personnes et demie, Wald, le bébé, était la demi-personne, qui occupait la jeep, on sentait que leur taux de bonheur semblait croître avec les kilomètres. La voiture devenait petit à petit le pays du bonheur retrouvé.

    Maintenant Claudio et Virginia, piaillaient, sautillaient sur les branches de l’arbre de l’illusion angolaise. On dirait des oiseaux au printemps. Une nouvelle saison inconnue allait commencer. Ils allaient enfin pouvoir se libérer et même, se donner le plaisir de plaisanter pour la première fois dans leur vie de jeunes mariés. 

    - Mais regardez-moi cette terre angolaise, elle sent la maternité. Elle a dans ses entrailles la forte odeur qui se dégage lors de la naissance des nouveaux nés. Elle est profonde et te pénètre autant dans le cœur que dans les narines dit Claudio, se tapotant la poitrine d’une main et fermant de l'autre la vitre de la voiture. 

    -    N’exagère pas Claudio ! Tout nouveau tout beau ! Il y a en Angola aussi des choses moins gaies, moins paradisiaques, tu verras ! Dit Armando avec sérénité pour tempérer l’enthousiasme de Claudio. 

    Claudio remarqua à ce moment-là dans la voix d'Armando, dans sa façon de prononcer son prénom que leur amitié du passé au village était renouée. Claudio sentit un pincement au cœur. Qui l'aurait dit après tant d'années de séparation et de routes différentes. Cependant Claudio ne dit rien, mais il se sentait heureux. L’on voyait aussi, sans se tromper, que le jeune papa de Wald était captivé par tout ce qu’il voyait. Il adhérait de tout son corps, cœur et âme à une sorte de magie. A moins que ce ne soit, à celle d'une religion d’un dieu créateur de la beauté de la terre africaine.   

    Ce qui ne surprenait pas tout à fait Virginia c’est que les femmes en Afrique aussi, semblaient travailler plus que ces paresseux, les hommes. En effet, régulièrement tout au long de la route, la jeep dépassait ou croisait des femmes, chargées comme des mulets. Elles transportaient du bois sec ou d'autres matériaux inconnus des yeux européens.

     Les hommes, ici aussi, marchaient devant, droits comme des pieux, ils portaient fièrement, comme des fusils sur l’épaule, des sortes de hues. Ils avaient probablement égratigné un petit lopin de terre en bordure de la forêt pour planter quelques sillons de manioc.

    Comme si on ne les croyait pas ils semblaient vouloir nous convaincre :

    -             Que l’on n’aille pas croire le bavardage des femmes. Non, le vrai travail est une affaire d’hommes. Nous les africains nous sommes des hommes fiers ! Que croyez-vous !    

     

     

    ***

    Théophile Méfiance

     

    Dans un autre registre, Claudio très silencieux laissait sa pensée naviguer dans le passé. Si ces gens venaient vraiment de planter du Manioc, c’est que l’on était déjà à la fin de la saison des pluies. Claudio, l’ancien élève, se rappelait les enseignements concernant l’agriculture africaine de son dernier maître d’école, Monsieur Théophile, surnommé par les hommes de Roustina, l’africain.

    Cependant ses élèves, lui avaient donné le sobriquet de gruyère. C’est qu’il avait une peau jaunâtre parsemée de trous comme le dit fromage. L’on disait en secret au village que c’était la vengeance d’une jeunesse de débauche et que son épiderme avait été ravagé par la syphilis.

     Ce qui était vrai, c’est qu’il avait exercé pendant une dizaine d’années en Guinée-Bissau où, il avait réussi à faire une jolie petite fille métissée nommée Fernande, la seule richesse coloniale qu’il ramena à Roustina. La négresse, comme elle était nommée dans le dos de Théophile fut la cause au village de grandes inondations composées d’eaux troubles, de ragots, de curiosités, d’accusations, de péchés, d’une myriade d’autres choses peu claires et incompréhensibles.

    On n’avait jamais vu une négritude pareille dans le hameau reculé de la broussaille de la Serra de Mal Cata en limite de la ligne de démarcation qui séparait le pays du fado de Satan Lazar de l’Espagne de guitares y panderetas de Bestamontes. Le seul vrai siècle des lumières ayant parvenu au hameau arriva à dos d’âne en la personne du père Trampoline. Il fit enseigner et appliquer, aussi bien à la messe qu’au chapelet du soir et à la catéchèse dominicale, l’Evangile selon Satan Lazar mais adapté à la sauce locale sous l’autorité épiscopale de Guardangal, Monseigneur Conlabo.

    De plus le fruit métis blanchi par la lumière de la colonisation était d’une incroyablement beauté.

    Mais comment était-il possible de croire qu’un homme d'une telle laideur puisse engendrer une telle beauté. En outre, selon le savoir et la pensée bienpensante du village, en Afrique, il n’y avait que des singes dans les arbres se faisant des grimaces. Et lorsqu’ils ne se guerroyaient pas sauvagement entre eux, en certaines occasions plus rares, ils faisaient des festins de chaire missionnaire en dansant autour d’un grand feu de bois.

    Une certaine catéchèse du village faisait prospérer ces informations rapportées soi-disant par des soldats de la guerre coloniale de retour au village ce qui entrainait une croissance de méfiance à l’égard du professeur Théophile, certainement un terroriste indépendantiste converti faussement en sorcier africain.

    Mais le papy de Wald et la plupart des habitants, bien que paysans, ne croyaient nullement à de telles fakes news qu’ils nommaient propagande de Satan Lazar.

    Mais le curé du village, le père Trampoline, répétait en tout lieu religieux et de ripailles avec ses amis, dur comme bois d’ébène, qu’il fallait ne pas prendre à la légère les idées extravagantes de ce voyageur de la brousse de Guinée-Bissau.

    L’Africain avait beau être maître d’école, ses idées, dites d’avant-garde, troublaient les meilleures de ses brebis au village.

    Monsieur le curé n’osa pas le dire lors du sermon dominical, mais laissa entendre en privé à ses amis et protecteurs que ce monsieur n’était pas seulement laid comme un pou, mais que comme une hideuse araignée, il avait tissé une toile pas claire avec le parti pro-indépendantiste le P.A.I.G.C. d’Amilcar Cabral. Ce bandit Capverdien, qui bénéficia de notre savoir et culture à l’Université de Coimbra, le traitre, fut heureusement liquidé, avec sa clique, à la suite d’une nuit d’incursion bien menée et rapide en Guinée Conakry par nos héroïques forces secrètes.  Il doit être en train de griller en enfer avec cet autre diable le mal galonné Général Humberto Delgado honte de nos forces aériennes liquidé lui aussi à Olivenza en Espagne avec sa putain de secrétaire. C’est qu’il voulait importer chez nous pays, des hommes vrais, d’ordre, d’autorité, patriotes, fiers d’être portugais craignant uniquement dieu le tout puissant, oui, il voulait nous filer par les urnes cette démocratie étrangère et mole dirigée par des gens de blablas et pardessus efféminés.

    -  Tous des bandits ! Des terroristes rouges ! Et l’autre, le Gruyère africain, un traitre déguisé en professeur ! Mieux valait, pour tout le monde, l’avoir à l’œil. Et moi, là-dessus, je sais faire, dit le curé d’un air supérieur de celui qui connait sa besogne.

     

    ***

     

     Que Vogue la galère !

    Le cahotement de la jeep sur les routes angolaises eu raison du manque de sommeil de Claudio. Il se permit même quelques petits ronflements que tout le monde, même bébé, accepta avec compréhension. Claudio depuis qu’il avait été expulsé vers l’Afrique dans les conditions que nous connaissons silencieux lecteur, avait perdu l’appétit. Il dormait mal. Dans la douleur, il avait laissé là-bas son père David, mais aussi, ses amis, son chien Batista et même cet air frais et pur de la montagne. L’air sentait si bon à Roustina, surtout le matin au lever du soleil.

    Sa mère ne lui manquait pas du tout. Jamais il n’avait trouvé en elle la douceur maternelle d'une main à la peau douce lui caressant le cou ou même le visage. Il ne se rappelait vraiment que de sa voix masculine lui criant dans les oreilles le dimanche matin : 

    -             Il est déjà 9 heures fainéant. Lève-toi bon à rien ! Je suis debout depuis 5h du matin. Tu crois que je vais tout faire dans cette maison. Ton père est tout le temps parti. Seul le diable sait où il va et toi … 

    -             Mais c’est dimanche maman… Tout le monde dans la jeep entendit les paroles affolées sous une respiration difficile du dormeur. 

    -              Réveille-toi Claudio ! Tu es en train de cauchemarder ou quoi, lui demande Armando en lui posant une main calme sur l’épaule gauche.

    -             Oh ! Pardon ! Je suis désolé ! Tout honteux, ne sachant quoi dire et à moitié réveillé il s’essaya de s’en sortir par des excuses.

    -             Ne t’en fais pas mon petit chéri. C’est que mon Claudio ne dort pas bien depuis quelque temps, intervient son épouse en lui tapotant avec tendresse sur le dos, comme pour lui dire qu’elle était là pour le meilleur et pour le pire.

    Alors, Armando se permit, un petit discours amical débordant d’amitié fraternelle. 

          -  Tu sembles pensif Claudio. Quelles sont tes inquiétudes ? Calme-toi. Le drame de Roustina fait partie du passé. Maintenant il faut penser à ta femme à ton petit prince Wald et à ton avenir angolais. Ici tu es à plus de huit mil kilomètres du Soleil Sombre de Lisbonne et à plus de 15 jours de navigation. Même si son bras est long et les murs ont des oreilles celles-ci sont moins nombreuses et moins performantes sous les tropiques. Quoi qu’il en soit ici en Angola il y a quand même moins de problèmes qu’en métropole. Je ne parle même pas de liberté ou des descentes de la P.I.D.E. à 6 du matin. En outre, les brimades, les remontrances, les menaces, la torture, même si elles existent elles sont moins fréquentes car il y a une contre-force d’opposition indépendantiste qui tempère en quelque sorte les envies dictatrices de notre Satan Lazar.

     Non Claudio, il ne faut pas te faire du mauvais sang. Ça ira. Au début tu auras quelques surprises. On te dira que les noirs ceci, que les noirs cela. Tous des terroristes, mais tu verras qu’ils sont comme toi, comme moi. Il faut laisser parler. Il faut écouter. Puis, tu pourras y mettre ton petit grain de sel. Mais, attention il ne faut pas avoir la main lourde avec le sel. Sinon ! 

    - Sinon quoi ? Demandèrent Virginia et Claudio en même temps.

    - Sinon ce sera l’enfer, comme en métropole.

    - Ne t’inquiète pas Armando, dans la vie et en toute circonstance, mon Claudio sait séparer l’avoine de l’ivraie. Il sait également faire de la bonne cuisine et en particulier le bon « Caldo verde », la fameuse soupe au choux galicien. C’est un délice de voir les étoiles d’or de l’huile d’olive qui brillent autour des rondelles de saucisson rouge. Le tout ondoie dans un petit lac de terre cuite qui te chauffe joliment ton petit jardin secret, ainsi que tes mains en hiver. 

     Pour le sel, il sait faire mieux qu’un paludier des marais salants de la ria d’Aveiro !

     Ne te fais pas de soucis Armando, il sait être bon cuisinier autant qu’un excellent diplomate. Tu peux lui faire confiance.

    Ce n’est pas parce qu’il est là, mais je suis sûre de lui, j’en mets mes mains au feu ! Oui, tu peux faire confiance à mon mari. Il a l’habitude avec ces gens-là. Son père David, comme tu dois le savoir, a été un bon maître dans la matière et il a pris soin d’inculquer ces bonnes valeurs à son fils unique. Comme tu vois Armando, mon Claudio est allé à la bonne école. Ce qui le perd parfois c’est cette attirance qu’il a, comme son père, à se mettre au service des bonnes causes qui parfois attirent des ennuis. Mais que faire ! je crois que c’est une maladie de famille sans cure ! Il faut faire confiance et la mienne il l’a ! Je le savais et je l’ai épousé quand même Armando conclut-elle en riant tout en regardant avec un œil de tendresse son Claudio.  

     

    - Mais qui sont « ces gens-là », demande le lecteur qui commence à en avoir assez de tous ces non-dits de tous ces zigzagues dans ce qui devait être une ligne droite. Nous réclamons une écriture simple comme bonjour et des idées claires et droites comme des « i ». Pourquoi se fatiguer à réfléchir inutilement.

    - Inutilement, demande l’auteur. Mais mon cher lecteur, tout le monde sait que la simple soupe à l’eau s’avale vite, mais ne rassasie pas son homme. De plus, lecteur, il faut être économe en paroles et en idées dans les contrées dirigées par les chefs qui ont toujours raison. Pense plutôt lecteur qu’il vaut en toute circonstance et même dans les paradis sans lesdits chefs, mieux écouter pour mieux parler après. Que cela te serve d’exemple et tu en tireras grand profit.

    Claudio qui ne pouvait pas être dans ce récit et dehors n'entendit pas cet échange de paroles entre l'auteur et son lecteur. Donc, comme si de rien n’était, il se dirigea vers son ami Armando en éclatant de rire :

                    Sois indulgent avec ma Virginia. Ce que les femmes peuvent être bavardes et parler pour ne rien dire !  Bien que la mienne est une fontaine à l’eau délicieuse et fraiche et quand elle parle son eau se transforme en perles qui lui sortent de la bouche douces, brillantes et pures !  Après une pause qui dura un long sourire, Claudio se tourna vers sa Virginia

                    Ecoute ce que j’ai à te dire :

    « L’Absence »

    Dans un courroux

    Au foie tout fou

    Le sage amoureux

    Tue la réalité de l'absence

    Dans la tragique douleur

    En rêvant le bonheur

    D'une rencontre intense !

     

    Dans l'attente

    Il souffre tant l'absence

    De ce qu'il aime et désire

    Qu'il ne supporte pas

    Non, il ne supporte pas

    Aucune autre présence.

                    

    En attendant

    Nostalgique petite vie

    Valorise, valorise

    Ce qui est constant.

                    

    Ô nostalgique petite vie

    L'illusion n'est que nuage

    Ciel bleu cachant l'orage !

    Qu'importe, la pluie du dehors

    Qu'importe ce temps de froideur,

    Si le soleil brille avec chaleur

    Dans ton jardin intérieur.

                    

    Ô aventure

    Brouillard d'illusion

    Valorise, valorise

    Dans cet hiver ou printemps

    Valorise, valorise

    Ce qui est constant !

                    

    En attendant

    Petite accalmie

    Petit air de vie

    Que vive, Sa Majesté, l'Espérance

    En oubliant les caprices de l'absence,

    Allez ! Allez ! Mer agitée

    Laisse voguer, laisse voguer

    Petit bateau dans la tourmente,

    Mais calme-toi o océan agité

    Glorifie le bonheur de la rencontre.

    Dans l'attente

    Ô entrailles de la montagne aimée

    Laisse cristalline rivière pleurer

    Les cailloux roulent dans la douleur

    Dans courbe et méandre

    Elle a besoin de délester

    C'est sa manière de vivre

    C'est sa façon d'aimer.

                    

    Le beau jour

    Soleil levant va briller

    O soleil paresseux,

    Dépêche-toi d'arriver !

    Cours par monts et vallées

    Tiens-nous chaque seconde en haleine !

                    

    En attendant

    O nostalgie de la vie

    Valorise, valorise

    Dans cet hiver ou printemps

    Valorise ce qui est constant !

                    

    Chantons la vie joyeusement

    Buvons le feu de son cœur

    Lavons dans la fraîcheur cette douleur

    O perpétuelle vie de rajeunissement

    Fontaine de vie

    Fontaine d'immortalité

    O notre bien aimée Jouvence Fontaine.

     

    ***

     

    La jeep serait-elle en révolte ?

                    Le plateau de Nova Lisboa pourrait bien s’appeler la région la plus transparente. Le ciel était d’un azur à enivrer de passion les yeux les plus vides de sentiments. Çà et là, des nuages blancs rêvant d’aventures amoureuses, se déplaçaient mollement en somnolent. De sa hauteur majestueuse, le roi soleil tropical déployait ses ardeurs. Il s’agrippait avec force à cette grande assiette creuse à l’envers faite de terre rougeâtre, qui s’étendait maintenant à perte de vue. Tout ça, c’est le plateau de Nova Lisboa. 

     Sur les hauteurs irrégulières du plateau, le moteur vieillissant de la jeep respira avec satisfaction un air plus frais et limpide. Maintenant, l’on avait l’impression que la jeep reconnaissait son chemin les yeux fermés. 

     Elle se disait à elle-même. Que c'était agréable de revenir au pays, de se retrouver chez soi, de revoir sa maison de Nova Lisboa. Même en étant plus jeune, elle n’avait jamais été folle de la côte touristique au sud de Luanda. 

    Celle-ci allait jusqu’à Moçamedes où soufflent des vents chauds et secs qui contrastent complètement avec la froideur des eaux du courant de Benguela.

    Ses quatre roues sur un macadam de misère ou, les pieds dans l’eau glacée, c’était tout simplement l’enfer. Avec cette chaleur du diable, dans cette zone dite touristique par les blancs, son sang jaune-or visqueux tourbillonnait à l’intérieur de sa culasse. Il risquait même de tourner au noir et devenir un liquide rêche et acide. Elle avait beau chercher l’air avec son système de refroidissant qui tournait désespérément à fond, ses poumons s’essoufflaient. Le joint de culasse menaçait de casser. Elle n’en pouvait plus.

    Cette température, était peut-être agréable mais uniquement pour ces colons, au visage de craie, venant du froid des montagnes du nord du Portugal. Oui, se dit la pauvre, cette chaleur-là ne pouvait être agréable qu’à ces Tugas.  C’est que depuis cinq siècles en Angola, ils ne foutaient rien. Rien pour mon Angola à moi. En revanche, ces parasites, faisaient travailler les Angolais comme des esclaves et ils en faisaient même venir des îles de Saint Tomé et Principe. 

    -             Mais pourquoi ces Tugas, vivent-ils dans des palais dans un pays qui n’est pas le leur alors que nous, les Angolais, habitons chez-nous dans des baraquements ? Cette culture-là qu’ils veulent nous imposer de gré ou de force personne n’en veut ni ici ni ailleurs.   

     Elle se posait des questions. Beaucoup de questions, mais en réalité, elle ne savait rien concrètement.

     Elle ignorait même ce que c’était le froid. Elle avait entendu dire qu'elle avait été fabriquée, parait-il, dans la banlieue parisienne, par des mains calleuses aux accents étrangers. Il parait qu’en hiver Paris était glacial. Mais elle ne s’en rappelait pas du tout. En arrivant ici bien que parisienne, mais sans le « F » collé au popotin ou affiché sur le front, et sans péter plus haut que son cul, ni chauvinisme, je me suis intégrée, adaptée aux conduites et routes locales comme une voiture humaine et humaniste. L’important n’est-il pas d’être ce que l’on est, d’être ce que l’on fait là où l’on vit, là où l’on crée, là où l’on se réalise. Enfin je suis devenue une Angolaise, une voiture parmi d’autres gagnant ma vie honnêtement à la sueur de mon front. Ces questions je me les suis posées à mon arrivée, j’étais jeune brillante et belle. C’était le bon temps. Aujourd’hui, ici comme ailleurs, le monde ne tourne plus très rond. Le pays n’est plus ce qu’il était.

    -     Mais que dis-je ? Je me surprends à parler comme ces gens qui détestent les autres pour ne pas se détester eux-mêmes ! Cela ce n’est pas moi dit la jeep pour se rattraper. Elle commençait à perdre les pédales de frein et d’embrayage, puis elle s’interrogea inquiète.

    -    Suis-je en train de devenir une vieille gâteuse et râleuse qui perd aussi la tête ?

    Ce dont elle se rappelait c’est qu’elle était arrivée après un mois de bateau au port de Lobito.

    Perdue, elle le fût par tant de changement, mais ensuite elle s’habitua à tout. Elle n’avait pas eu le choix. Ensuite, pendant sa longue vie, passant du statut de voiture neuve à celui de bagnole et maintenant à celui de tas de ferraille avec diabète et cholestérol. C’est ainsi que son dernier patron la traitait. Elle avait passé sa sainte vie à se lever à l’aube, à courir, à faire des kilomètres, sous la chaleur humide, toujours chargée comme une bourrique sur des routes où, même le diable n’aurait pas voulu rouler. 

     Une vie de merde, une vie d’esclave, sans jamais pouvoir décider, faire des projets, des choix. Une vie faite d’obéissance, oui Monsieur, oui Madame et amen à toutes leurs volontés et caprices. Jamais elle n’avait pu se réaliser selon sa volonté, avoir des enfants, une maison descente. Toujours la boniche à tout faire comme une esclave de ces Tugas. Ce fut souvent un enfer ! 

    Mais elle n’éprouvait ni haine ni rancœur sauf une fois quand elle reçut un coup de fouet d’un colon qui faisait pitié plus qu’autorité. Ce n’est pas bon d’avoir de mauvaises pensées, bien que cette fois-là elle eut une envie folle de foncer contre un platane et de casser du colon. Mais que mon dieu africain soit loué, cela n’arriva jamais. Elle gardait toujours de l’espoir, pour demain. Demain les choses changeront. Changeront-elles ? Peut-être ! Parfois elle en doutait, mais pour aller de l’avant il faut croire, croire à cela et pas à autre chose. Mais en était-elle sûre ?

    Maintenant elle était vieille. Elle devrait être déjà à la retraite et avoir retraite méritée et tranquille, pas une retraite de misère ne permettant pas à une personne de vieillir dignement mais, elle ne se plaignait jamais. C’est qu’il y avait encore en elle un élan d’énergie, venant de son cœur de fer, une envie de rendre encore service à son patron. Elle ne savait pas s’il fallait dire patron ou colon. Ça doit être pareil. Elle n’était jamais allée à l’école comme les blancs. Bien que le colon qui l’avait fouettée ne savait ni lire, ni écrire non plus. En tout cas certains mots étaient pour elle de vraies chinoiseries. De plus, elle sentait qu’elle devenait de plus en plus dure d’oreille. 

    Néanmoins elle savait et était sure d’une chose, c’est que le nouveau chauffeur, Monsieur Armando, ne se comportait ni comme un colon ni comme un patron. Car l’un et l’autre étaient des hommes qui n’en étaient pas, plutôt des animaux sauvages de la forêt dense de Cabinda, cherchant une proie et peu leur importait qu’elle soit ou ne soit pas africaine.  La route filait droite comme un i sur un faux plat qui montait. Le moteur monta en régime et l’on sembla entendre

    - Non ! Monsieur Armando était une bonne personne et tellement différente des autres crapules que ça me donne envie de lui faire plaisir. Puis ronronnant entre deux vitesses qui passaient mal

     - Mais la grosse baleine de sa femme qui se faisait appeler Dona Dulce elle lui resta en travers de la route. Que le Dieu africain veuille me pardonner, mais cette crétine, je la déteste. 

     

    ***

     

    Paroles de jeep

    « La Dulce » comme elle l'appelait en aparté ! Cette garce de baleine blanche, elle ne pouvait pas la supporter. La craie blanche avait beau lui piétiner, lui écraser le champignon, elle, une jeep fière de sa personne, ne démarrerait jamais. La garce me perçait le corps avec sa maudite clé de contact. Moi Schling ! Schlang et rien ! Plutôt se noyer que de transporter ce tas de mauvaise graisse où qu’il fût. Les engueulades, les noms d’oiseau ne la feraient pas changer d’avis. Garce, baleine du diable, tu ne mettras pas, ni tes jupes, ni tes culottes de colon sur moi ! Jamais !

    - Armando ! Armando ! Ta voiture de merde ne démarre pas ! Mais quel vieux tacot a acheté encore cet idiot ! C’est un amoncellement de rouille ! Un vrai torchon zébré de rayures et un amalgame de tôles froissées. Bonne pour la ferraille, ta bagnole ! Quand on achète avec de l’argent de singe l’on n’a que des bananes pourries !

    - Mais Dulce, calme-toi ! Il ne faut pas tirer sur le starter comme tu tirais sur les pis des vaches de ton bled aux chemins de chèvres !  Il faut être moins brute avec le matériel. Qui veut aller loin ménage sa monture. Attends Dulce ! Mais laisse-moi faire ! Écoute-moi s’il te plaît ! A la voir comme ça elle a l’air vieille, mais le moteur tourne comme une horloge de Savoie. 

    La jeep était très heureuse de se faire caresser, toucher par cet homme si sensible, si doux, un si bon mari. Ce torchon rustre et mal dégrossi, ne méritait pas un si bel et charmant homme. Avant le mariage elle n’était qu’un souillon de village. Mais maintenant qu’elle est quelqu’un, grâce à son mari, elle traite tout le monde plus bas que terre et devient capricieuse plus capricieuse que Cléopâtre et la reine du Shabbat réunies. Une vraie garce cette baleine blanche ! Mais son charmant mari ne cède pas toujours à ses caprices et j’en suis heureuse. 

     Ce n’est même pas de sa faute si cette craie blanche est une pétasse ! En effet élevée, crée, éduquée, un tant soit peu, dans l’école primaire de Satan Lazar, un malade névrosé lui aussi, elle ne pouvait devenir qu’une dictatrice puante, avec son mari, avec ses enfants et tout être vivant autour d’elle soit-il un animal ! 

    Maintenant, avec cet homme si doux dans mon corps d’acier français toujours attentif à ma personne, je vais démarrer du premier coup et tourner au ralenti comme pour une marche nuptiale. Juste pour la faire suer cette baleine blanchâtre !  C’est que je déteste ce type de femmes. Auparavant méprisées, elles deviennent plus tard méprisantes à leur tour. Des personnes arrivistes, assoiffées de pouvoir et quand elles en ont un peu, elles sont capables de tuer père et mère pour en avoir plus. 

    Même, si dans la bouche et les yeux de certains ingrats, je ne suis qu’une simple jeep, une modeste bagnole, une petite vieille je ne me suis jamais comportée comme cette garce au cours de ma longue vie. Je ne le dis pas dans une attitude de fierté excessive. C’est que l’excès, nuit à la vie et toute circonstance. Non, je le dis naturellement. Pourquoi s’exciter et se taper le cul par terre, pour en oui et un non, comme cette m’as-tu-vu. Non je me sens mieux en me comportant toujours avec le cœur dans la main. De la sorte l’on vit mieux, avec plus de qualité de vie et plus longuement. 

    Elle ne se maquillait pas, elle ne se parfumait pas, non elle ne se mentait pas à elle-même et toujours bien propre, toujours son bain quand cela s’avérait nécessaire sous les tropiques. Elle riait en elle-même lorsque en revenant de la brousse, pleine de poussière rouge dans les yeux dans les roues et endroits intimes, certains métros la traitaient de salle bagnole. Mais son Armando lui préparait au retour de ses bons services une très bonne et abondante douche fraiche. Ceux qui ne se lavaient pas c’étaient eux. Une petite portion d’eau dans une bassine sur la pointe du nez le matin et c’était tout pour la longue journée de chaleur tropicale. Après, l’odeur de putois allait grandissant au fur et à mesure que le soleil chauffait et le soir c’était irrespirable. Mais il parait qu’en Europe il faisait très froid et l’eau abimait leurs corps. Bien que née en Europe elle, la jeep, ne se rappelait plus et ne pouvait donc rien affirmer catégoriquement. 

    Elle avait également entendu que l'Afrique, mais pas seulement, avait été joliment civilisée par les fièvres et autres maladies provenant de milliers d’années de saleté, de promiscuité dans les villes, les villages etc... 

    Comme une personne bien éduquée, elle n'a pas voulu terminer la phrase, car elle ne voulait jeter la pierre à personne. 

    Peu importe tout cela. Pourquoi remuer les ordures d’hier. Mieux aller de l’avant. Bien sûr qu’en Afrique, comme ailleurs, il y avait des bagnoles pauvres et surtout sales, mais dans son opinion de bagnole, la pire des saletés, c’était celle des idées et des faits. Voulait-on l’obliger à énumérer le nombre de guerres et autres saletés dont l’Europe, dite propre, avait été championne au cours du dernier millénaire ?   

    Il serait bien moins fatigant de ne pas réfléchir, ne s’occuper de rien. Il fallait s’en ficher que la société, les gens, aillent bien ou mal.

    Mais elle, en tant que jeep, avait parcouru cet Angola dans tous les sens. Elle avait vu beaucoup de choses qu’elle n’aurait jamais dû voir. Elle, le vieux tacot, comme ils disaient, avait vu beaucoup de saleté et autant d’injustices et de misères.

    Néanmoins, elle avait toujours cru qu’en travaillant dur, on finirait par y arriver. Mais les années passant de plus en plus vite, elle comprit que quelques personnes ne foutaient presque rien et avaient tout, tandis que d’autres travaillaient comme des mules et n’avaient rien. 

    -             Comment Bon Dieu des blancs, peux-tu permettre cela ? Que fais-tu toujours là-haut sur ta croix ? Tu ferais mieux de descendre et venir parmi les hommes. Pourquoi es-tu parti au ciel quand il a tant à faire dans cette terre. Il serait bon que personne ne vive de la sueur et du sang des autres. Des parasites, des parasites ... 

    Pourtant elle avait besoin de se protéger. Chacun ses problèmes. A chacun ses crevaisons, à chacun son cholestérol dans les durites, à chacun son Alzheimer dans les systèmes électroniques, assez d’emmerdes comme ça. Les siennes n’étaient-elles pas assez pour son âge ? Maintenant il fallait céder la place aux jeunes. A eux de relever leur défi, comme elle avait relevé le sien en son temps, en son époque. Chaque génération doit relever ses défis et dieu pour tous, n’est-ce pas ! Elle avait besoin de sortir des choses de son moteur, pas tout, car il n’est jamais bon de tout dire, c’est essentiel d’écouter aussi, pour mieux comprendre les autres et construire une relation de paix.

    Elle avait assez dit pour ce soir. La suite viendrait ou pas. On verra selon les circonstances. Les non-dits, les silences sont aussi dialogue et parfois long discours.   

     

    ****

     

    Le bonheur du retour

     Cependant en s’approchant de la maison, la jeep éprouvait une sorte de bonheur, le bonheur du retour, le bonheur de retrouver les siens. Elle sentait déjà dans les narines du système de refroidissement l’odeur du pays, son pays de Nova Lisboa, un pays qu’elle avait appris à aimer. La fin du voyage était proche, même s’il y avait encore du paysage à voir et à découvrir, et des milliers de nids de poule dont il fallait se méfier.  Il restait tout au plus une centaine de kilomètres à parcourir. Déjà plus de 500 kms dans les pattes, ou plutôt dans les pneus et tout c’était bien passé jusque-là, grâce à Oshum, son dieu Africain, bien aimé. On dirait même, qu’une légère brise fraîche autant qu’agréable, caressait maintenant sa peau rouillée et les visages rouges des quatre passagers et demi.

    Wald, le petit-fils qu’elle aurait aimé avoir dormait à poings fermés. La malchance ou plutôt la guerre de pacification coloniale avait emporté son fils et le ventre de sa fille était plus épineux qu’un dattier du désert Namibe.

    Mais le long chemin depuis Luanda s’approchait de la fin, sans problèmes malgré la fatigue qui se faisait sentir davantage, à chaque kilomètre avalé à toute vitesse. Une fois de plus elle avait fait son devoir. De plus tout le monde se sentait satisfait et c’était cela sa plus grande joie de voiture angolaise. 

     

    ***

     

    Pourquoi diable être toujours dans la braise ! 

    Pourtant, il était plus que temps que son patron Armando réduise la vitesse. Toujours à fond la caisse ! Calme-toi, petit patron, on arriverait bien avant le coucher du soleil. Que diable, toujours dans la braise, c’est-à-dire à toute vitesse. Je n’en peux plus moi !  Ta baleine te repousse et après tu te défoules sur moi !  Mais moi je n’y suis pour rien !  Allez du respect pour une vieille dame comme moi ! 

    La jeep faisait le bilan de ce qu’était sa vie. Jamais une minute à elle. Jamais le temps de s’asseoir. Jamais le temps de parler avec son mari. Si au moins son fils était encore là ! Mais cette guerre du Satan de Lisbonne le lui avait volé. Heureusement que sa fille bien qu’improductive était son soutien et sa joie de vivre. Elle ne compensait pas totalement la disparition de l’autre fruit de ses entrailles. En écoutant parfois les pleurs de sa fille elle s’accrochait, dans les moments de tristesse, à la joie d’être mère. Tout son amour maternel se fondait en tendresses d’attention redoublée à l’égard de la malchanceuse.

    Mais en dehors de la route de sa famille et lorsqu’elle roulait dans la société de propagande d’égalité paradisiaque entre européens et africains de Satan Lazar sa vie devenait un chemin de croix !

    Non ! Cela était le plus grand mensonge. On n’avait pas besoin de rouler à toute vitesse dans les écoles presque inexistantes de la Province d’outre-mer Angolaise. Il suffisait de parcourir avec ses sandales en cuir usées jusqu’à la tram les pistes poussiéreuses ou boueuses, selon la saison d’Angola pour s’en rendre compte.

    Non ! Elle n’était pas une voiture, ni une femme respectée, ni traitée avec humanisme. Elle n’était qu’une pauvre jeep méprisée, traitée comme la plupart de ses compatriotes plus bas terre. Cela ne datait pas d’hier, mais depuis des siècles, elle et ses ancêtres.

    Mais un jour elle tendit les oreilles à une conversation D’Armando avec un blanc tout juste arrivé. Lesdites paroles étaient exprimées dans la plus grande discrétion et dans une voix presque inaudible. Le blanc affirmait que la majorité des Tugas vivait dans la peur, le mépris la pauvreté et que bientôt le pays allait exploser.

    Elle n'avait jamais été estimée à sa juste valeur non plus, même si elle avait passé sa vie à avaler des kilomètres comme une esclave. Elle n'avait jamais connu une de ces routes angolaises, lisses comme des feuilles de papier blanc, comme le prétendait faussement la propagande de Lisbonne. 

    Elle avait un souvenir de feuilles de papier qui devait dater des années 58 ou 60. Sa mémoire jadis d’éléphant avec les années devenait une mémoire de moineau. Mais que faire. Elle se rappelait en effet qu’en traversant ces maudits Musseques de misère, des feuilles tombaient du ciel comme des averses. Elles étaient ébouriffées de lettres rouges et grasses, de différentes tailles. On les trouvait même sur le bord de la route. Son propriétaire les avait lues à voix basse, mais à l’époque elle avait encore l’oreille fine : 

    - « Halte au colonialisme portugais !  Cinq-cents ans déjà ! Dehors le fascisme de Satanlazar ! Dehors les Tugas !  Debout peuple d’Angola. Luttons unis pour l’indépendance de notre patrie. Liberté ! Unité ! Indépendance ! Rejoignez tous le MPLA »

     Elle, pauvre jeep, petite bagnole, ne savait pas lire, comme les 90% des autres voitures angolaises. L’école, ça ne nous concernait pas. C’était seulement une préoccupation des visages de craie. Notre boulot à nous, les bagnoles, était de rouler, travailler comme des esclaves, pour les Tugas. Après une de ces journées de travail endiablé, nous retournions au Musseque dormir dans les taudis de nos baraquements. Nous laissions tomber nos os moulus sur une literie faite de « capim », une sorte de foin dru séché au soleil, avec des ventres ronds remplis de ces sataniques kilomètres. Tandis que les Tugas, sans un simple merci, s’en allaient imbibés d’un orgueil démesuré dans leurs maisons dorées. Quelles maisons ma jolie Oshum !

    Mais que voulez-vous ! C’est la volonté de dieu, leur dieu. Nous, les pauvres, on ne sait pas lire. Non, jamais le temps de feuilleter le moindre livre ! Qui savait ce que c'était ? Non, jamais, jamais le temps de regarder les beaux paysages de notre pays, notre Angola. - - Eh ! Attention à ce nid de poule. Attention à cet autre trou. Toujours dans le stress et souvent le ventre, comme une horloge, à battre des heures.

    Mais bientôt Nova Lisboa. L’air était de plus en plus limpide, presque frais. Une certaine fraîcheur qui pénétrait par les narines. On ouvrait les portes, on retroussait la capote de plafond et voilà, l’air frais et pur pénétrait à l’intérieur de mon corps comme un torrent blanc de lait de coco. Quel plaisir ! Quelle sensation de bien-être, après cette chaleur Luandaise qui t’écrasait au sol en brûlant ton corps, ton cœur et ton âme. Il lui semblait même que çà cahotait moins en apercevant au loin les maisons blanches de la ville. 

     Nova Lisboa pour les blancs, Huambo pour les Angolais, était une charmante cité de province qu’elle portait dans son cœur. Mais vue de Luanda, elle n’était que le cul de Jude. Des ingrats !  Ô mes mollets !  Ô mes cardans ! Ô mes amortisseurs. Se plaignait-elle. Par moments elle avait les rotules à terre ! Je n’en peux plus ! Mais ma belle déesse Oshum, quand va-t-on arriver, viens à mon aide, viens à mon secours. Je me sens si seule que j’ai besoin de croire en toi ! Si au moins mon regretté et malheureux fils était encore là. Malheureusement il est parti si tôt et dans des circonstances qu’il vaut mieux oublier.

     Comme j’aimerais croire, avoir quelque chose à m’accrocher. Ou alors, devenir une enfant et même croire à ce père Noël des blancs !

     

    ***

     

    Et on ne finit pas d'arriver 

    Mais que cette route est longue ma bonne déesse Oshum ! Mes jambes arrondies n’en peuvent plus ! Viens à mon secours orisha des eaux et des rivières épouse de Shangô ! Mon dieu ! On ne finit pas d'arriver !

    Cependant dans le petit habitacle, maintenant le toit ouvert, on commençait à respirer cet air pur de Nova Lisboa des blancs. Ça sentait si bon ! Hein !

    Les corps des passagers étaient secoués comme des pruniers de la vallée du Tage. Et moi toute dégingandée au centre de la route avalant des kilomètres comme je peux.

     De leur côté, par un effet d'optique, les piétons de plus en plus nombreux au fur et à mesure que l’on s’approchait d’un certain modernisme de Nova Lisboa, venaient en courant aussi vite que le vent jusqu’à nous. Puis ces mêmes piétons s’en allaient, en arrière, à la vitesse de l’ouragan. Leurs corps se figeaient au loin devenant des silhouettes fixes, comme des bornes kilométriques sur le bord de la route. 

      En s’approchant de la destination, l’on traversait de plus en plus de grandes bourgades en banlieue de Huambo, le nom africain de la ville, avec leurs Musseques misérables. Leur pauvreté empestait l’air et blessait le regard.

     Il y avait des nuages de poussière qui se soulevaient de la terre rouge du sol, puis montaient au ciel en tournant comme un tire-bouchon à l’envers. Ci et là, l’on pouvait voir des sillons d’eau polluante ou fossoyaient de petits cochons noirs disputant la boue à des sales petites poules naines et parfois à des enfants sans père, mort à la guerre, ni mère qui trainaient dans la saleté comme des petits animaux abandonnés. 

    Elle essayait de fermer le cœur à tout cela. Comme une jeep africaine.

    Il fallait être très prévoyante, toujours sur le qui-vive. Elle se méfiait essentiellement de ces volatiles handicapés, comme tout africain avisé, des visages de craie. On n’avait jamais assez d’attention avec ces oiseaux qui ne savaient plus voler.

     C’est que dans un virage ou même lorsque la route était dégagée et droite, ces stupides poulets venaient se faire écraser sous mes roues, comme si elles avaient perdu la cervelle avant qu’on leur coupe le cou !

    En revanche les ventres creux de tous ces gamins en dévorant leurs cuisses priaient saint Christophe de leur donner des accidents chaque jour. Cependant le saint des chauffeurs se moquait la plupart du temps des prières des enfants. Mais ceux-ci y croyaient et priaient :

     

    Les garçons très dévots, devant dans la chapelle :

    -             Saint Christophe, protecteur des chauffeurs blancs,

             Donne-nous chaque jour un accident !

    Les filles, derrière en riant :

    -              Saint Christophe, tu auras une nouvelle auréole,

              Si chaque semaine tu nous donnes une petite poule-bagnole !

     

    Les poules-bagnoles ! C’est ainsi que les gamins du Musseque nommaient ces poules sans jugeote dans la tête. C’est que probablement dans leur petite tête elles rêvaient d’écraser les voitures qui leur disputaient leur vie de liberté dans la rue, les places du village et même de la route. On ne sait pas ce qui peut se passer dans une tête vide.

     Dans le Musseque, l’on pouvait voir aussi en cercle, comme des poussins autour de leur maman, des cases carrées, presque identiques, écrasées par des tôles de zinc. Celles-ci brillaient en réfléchissant le soleil comme des panneaux solaires. Cependant celles-ci ne produisaient pas d’électricité, mais une chaleur étouffante à l’intérieur qui faisaient briller les corps de sueur.

    Ainsi la nuit, les africains brillaient trempés dans l’obscurité noire !

    Les européens dans leurs maisons fraiches brillaient dans la blancheur de la lumière électrique.

     Chacun à sa place et dieu pour tous ! Ainsi soit-il ! Amen !

    Quant à la jeep elle était toujours sur la route. Elle se sentait de plus en plus chargée comme une bête de somme, car les forces allaient diminuant.

    -             Mon dieu Oshum, que je suis pressée de me débarrasser de mon fardeau. 

    Elle continuait de bondir sur les nids de poules. Maintenant elle se sentait épuisée et sans forces, comme les gazelles et impalas qui, étant en fin de course, allaient tomber dans les crocs et griffes des lions et guépards, leurs meurtriers, avides de leur donner le coup fatal. 

    -             Mais ma sainte déesse Oshum, quand va-t-on arriver ?

     

    ***

     

    Les sauts de gazelle et d’impala aux directions aléatoires de la jeep donnèrent vie au petit estomac de bébé. Il commença à se remuer, tout en cherchant délicatement avec ses petites mains d’ange, la poitrine, puis le sein de sa maman. Mais ne le trouvant pas, il commence à protester en pleurant à chaudes larmes. 

     -     Mais vous n’entendez pas les protestations et revendications de notre petit guérillero, dans sa lutte contre la faim. Alors, Virginia ! Tu as oublié que notre petit héritier réclame son dû, dit Claudio avec humour pour attirer l’attention de son hôte Armando. 

    -    En effet ton fils a faim, dit la jeune épouse questionnant du regard son mari.

     C’est qu’elle ne savait pas si elle pouvait se permettre de donner le sein à bébé devant Armando. Après tout, elle l'avait perdu de vue depuis longtemps et ne savait pas comment se comporter. De plus au village de Roustina les lois de la morale et en particulier dans cette matière étaient d’un rigorisme austère et extrême. En Afrique elle ne savait pas encore. Au village les ragots, l’unique quotidien d’infos, prétendait que les africains ne portaient qu’un cache sexe et leurs femmes de même allant les seins ballants en toute circonstance. Eh bien ! Elle verrait, découvrirait et démêlerait le vrai du faux.   

    D'un sourire, qui voulait dire « oui » Claudio la rassura. Puis rajouta,

    -              Armando sait ce que c’est la maternité puisqu’il est papa. Puis 

    Se tournant vers Armando. 

    -             Tu as combien d’enfants déjà ?

    -             Pas encore d’enfants Claudio. Je me demande si Dulce peut en avoir. Trop énervée, cela n’arrange pas les choses.

    -             Ne t’inquiète pas je vais la détendre et remédier à cela. Oui ! Oui ! Mon petit Wald ne va, quand même pas, rester tout seul. Il a besoin d’un petit copain pour jouer, pour aller à l’école. Puis sérieuse. Et informe ta Dulce que je serai la marraine !

    -             Que c’est adorable d’avoir une épouse comme toi Virginia. On verra ! On verra !

     

    ***

     

    Le drôle de rêve de Claudio

    Les cocotiers, les flamboyants, les champs de canne à sucre continuaient à courir à toute vitesse vers l’arrière de la Jeep, pourtant celle-ci semblait rester immobile. Cela faisait plus de sept heures que les quatre passagers et demi de la voiture s’enfonçaient vers l’intérieur du pays. Au fur et à mesure que le « cacimbo », c’est-à-dire le brouillard tropical se dispersait, le soleil semblait chauffer davantage.  Malgré la qualité de l'air ambiant, papa n'arrivait pas à se départir d’une drôle sensation d’angoisse. On aurait dit qu'il subissait de petits étouffements. Probablement, ce n’était que de petits symptômes liés à son asthme d’enfance. Puis, de guerre lasse, il s'assoupit légèrement, et se mit très rapidement à rêver. Pendant le rêve, il revit clairement son arrivée au port de Luanda. 

    Il venait tout juste de poser ses pieds sur le sol angolais, après plus de quinze jours de voyage. Ce furent de longues journées, plus qu’inconfortables dans les cales suffocantes du paquebot Vera Cruz. Ce navire disposait de trois ponts. On y trouvait, des salles de spectacles, des restaurants, des salons de beautés et de commodités, enfin de tous les biens qui permettaient aux voyageurs riches et respectables propriétaires de grandes plantations en Angola et au Mozambique de s'y trouver à l'aise. Pour construire leur richesse, ils n’avaient pas lésiné sur les moyens donnant à loisir de bons coups de fouet sur le dos brillant de sueur de ces nègres paresseux et mal élevés. C’était la seule façon de réussir dans la vie, d’aller de l’avant de faire prospérer et moderniser la plus belle province d’outre-mer, notre Angola, la plus riche de nos terres africaines, disait-ils. 

    Claudio se disait à lui-même. Nous étions sortis par l’arrière du bateau, tandis que les autres passagers des ponts supérieurs, sortaient par devant. C'est qu'ils étaient les rois de la canne à sucre, du café, et des diamants. Ils aimaient se montrer en étalant leurs bijoux, leurs costumes impeccables. Les hommes tiraient sur leur cigare, tandis que les femmes, qui ressemblaient à des bijouteries ambulantes, dandinaient du popotin semblant dire, regardez comme j’ai un mari riche. 

     Notre bon gouvernement savait être plein de gratitude avec ce genre de personnes. Il nous fallait être fiers de ces bons portugais qui avaient bravé autant adversités pour hisser bien haut la gloire de notre beau Portugal, en métropole et surtout au-delà des mers ! On pouvait écouter leurs récits épiques à la radio à toute heure. Mais aussi, on pouvait avoir la chance de les voir au journal de 20 h dans la seule chaîne du pays qui était d’un noir et blanc flou. 

    Cette réussite n’était pas seulement l’apanage de certains Portugais, des personnes hors du commun, mais une aventure possible qui pouvait être à la portée de tous les Portugais, même les plus simples. Il suffisait de croire à la destinée de notre pays, croire en notre guide national. D’immenses et riches terres africaines étaient, au-delà des mers, à portée de ces mains blanches et téméraires ! 

      Aux abords des grilles du port, il y avait tout un petit peuple, yeux rêveurs, pieds nus, visages sales, cheveux crépus, culottes sales et déchirées laissant apparaître un grand dépouillement vestimentaire. Cette foule bigarrée couvrait à peine leurs corps secs écrasés par le soleil et surtout par le regard condescendant de ces modèles de fierté nationale. Toute cette nombreuse misère noire avait là devant elle la richesse dont elle rêvait. Est-il nécessaire de prouver davantage à tout ce petit peuple que, si l’on voulait, dans cette Afrique Portugaise, leur rêve pouvait devenir réalité. Avec notre guide Satan Lazar, l’on pouvait être propriétaire et richissime.

    Si on ne l’était pas, c’est que l’on ne le méritait pas. Ce n’était nullement la faute de notre gouvernement et encore moins de notre Satan Lazar, le plus brillant homme politique que le Portugal n’ait jamais connu.

     C’est pourquoi, il est impératif de respecter et obéir à ceux qui ont la difficile et ardue tâche de nous gouverner. Nous confier avec humilité à Dieu, car Lui seul, sait ce qui est bon ou pas pour nous.

    Claudio s’étira les bras, se frotta les yeux et se surprit en train de parler. Avait-il encore rêvé ? 

     

    ***

     

    La bonne affaire, pour presque rien 

    Armando, comme tu le sais déjà lecteur, était un ami de jeunesse de Claudio. Il avait quitté Roustina et la métropole portugaise juste après son service militaire. Aujourd’hui il était patron d’un quart des noirs du tout nouveau quartier, dit localement le « Musseque », de Nova Lisboa. Ceux-ci travaillaient dans ses plantations de tabac, de l’aube au coucher du soleil, pour presque rien.

     Pourtant Armando n’était pas vraiment ce que l’on peut appeler un colon comme les autres. Il n’en avait pas ni la cupidité, ni la mentalité, ni la richesse. Il n’avait pas non plus une grande maison coloniale avec un jardin d’agrément à faire rêver les pauvres. Non. Il possédait une maison construite au milieu de sa plantation de bananiers. Elle était certes confortable, mais de taille moyenne et entourée de « capim » c’est-à-dire de l'herbe à éléphant. 

    Bien sûr, sa femme Dulce lui réclamait un jardin d’agrément, mais il pensait que c’était un gaspillage de la terre quand, tant d’africains n’en avaient pas. Selon lui c’était aussi une sorte de mépris à l’égard de ceux qui crevaient de faim.   

     - J’ai du mal à étaler de la richesse, devant autant de pauvreté. Cela me met mal à l’aise, expliquait-il à sa femme.

     Dulce, qui n’était douce que dans le prénom, ne l’entendait pas du tout de la même oreille. Elle le faisait constamment savoir à son mari. Elle menaçait. Elle protestait et pourtant, il ne voulait pas en tenir compte. Mais un jour, il le regretterait. Il pleurerait comme un crocodile, car, bien qu'il pense être un homme idéal, il ne pourra pas la garder, ni sauvegarder ses biens. 

    - Non-Monsieur !  Je ne le supporterai pas indéfiniment. Que va-t-on dire au village, que je suis une pauvre en Afrique ! Non Monsieur Armando ! Ce n’est pas pour cela que je suis venue dans ce pays de nègres.

    Elle exigeait, auprès de ses employés africains, que toute phrase lui étant adressée commence par Madame Dulce. Madame Dulce n’acceptait pas le moindre écart de respect fait à sa personne. Madame Dulce se croyait au-dessus de toute cette négritude. Madame Dulce, Madame Dulce aimait se montrer rigide et autoritaire, sans le moindre sourire à l’égard de ceux qui la servaient.

     Ses pauvres pieds étaient torturés toute la journée par la chaleur tropicale, mais aussi, par l’enfermement dans ses chaussures noires solidement ferrées. Elle ne les quittait que lorsqu’elle se trouvait seule. Tout au long de la maudite journée, se disaient les pieds, l’on entendait les fers des chaussures battre le plancher et raisonner dans toute la maison comme l’armée de Satan Lazar.

     Celle-ci avait l’ordre d’en haut, de battre le pavé, chaque samedi ou dimanche afin que tout Portugais, pendant de longues générations, puisse contempler le défilé d’une meute de drapeaux nationaux incalculables et admirer la force et puissance de l’immense empire portugais, allant du Minho à Timor et où le soleil, parait-il ne se couchait point. Mais selon d’autres, la majorité de la population, ne le voyais jamais.

    De la même façon au passage des chaussures ferrées de Dulce dans la maison, toute la négritude courbée, devait trembler et baisser son regard. C’était là, une bonne éducation basée dans le respect des supérieurs. Mais de plus, depuis son mariage et son arrivée dans notre plus grande province d’outre-mer, Dulce dans son nouveau statut devint une femme affamée de pouvoir accompagnée d’une grande soif de conquérir et posséder.  Elle n’était pas une molle, comme son mari, elle était une dure qui voulait conquérir, toujours conquérir, accaparer, avaler plus que son ventre replet ne lui permettait.

    N’avait-elle pas comme exemple, comme bon modèle ces glorieux héros, ces illustres Portugais qui conquirent le monde connu et le dominèrent par la force, le sang et montrant de la sorte aux autres nations ô combien ce Portugal était grand.

    - Chez mes parents, c’était la soupe à l’eau claire le matin, le pain sec à midi et le soir mon petit ventre se contentait d’air frais sous les belles étoiles. Mais les étoiles sont laides et moches si le ventre est vide. Criait-elle.

    - Armando, maintenant je veux manger, remplir ma panse. Je déteste la pauvreté, la racaille, tous ces bons à rien que tu aimes tant. Je m’en fiche de la misère des autres. Ce qui m’intéresse, c’est vivre dans l'abondance, la richesse et l'opulence, même si pour y parvenir il faut écraser tous ces nègres. Eh bien qu’ils crèvent tous ! Cette terre est nôtre depuis des siècles, car hier comme aujourd’hui nous avons su la prendre. Parce que nous avons été capables de la conquérir. Nous avons été les premiers à la dominer, l’éduquer. Nous l’avons tout donné, notre langue, notre religion, notre histoire, notre culture. Car ils n’avaient rien, de rien ces incapables. Si nous n’étions pas venus ils mangeraient encore des bananes dans les arbres avec le cul à l’air. Elle s’emportait et tapait du pied faisant trembler les murs en bois de la maison dans une colère qui allait croissante :

    -       Calme toi Dulce, as-tu pris tes médicaments anti-stress ? Mais, ma Dulce, comment peux-tu dire autant d’inexactitudes historiques, autant de mensonges historiques. Mon amie il ne faut pas écouter cette propagande de Lisbonne qui à force de répéter des mensonges jour et nuit fait de ces mensonges des vérités ! Je sais que ces mensonges sont aussi répétés par certains colons, soit par ignorance soit aussi parce qu’ils pensent se relever davantage en méprisant, en dénigrant plus bas qu’eux. C’est une méthode connue que l’on peut vérifier en Angola et partout ailleurs. Mais ma petite Dulce aussi douce que ton prénom en espagnol. Sais-tu que tu portes le plus beau prénom de la langue de Miguel de Cervantes ! Oui ! Oui ! Quelle chance tu as ! Tu vois tout n’es pas si mal comme tu le penses trop souvent ! Non ! Tout le monde n’est pas contre toi ! Ces Africains non plus. Tu le vois bien !  Ils essaient de tirer le diable par la queue comme la plupart des gens en métropole. Seulement ils sont nés pauvres, sans éducation, sans véritable profession. Tu peux observer, aussi bien que moi, que ceux qui ont pu acquérir une petite formation professionnelle ils s’en sortent mieux !  Mais la plupart d’entre eux n’ont pas eu la chance de pouvoir aller à l’école. Le peu d’écoles de ce pays ne sont réservées qu’à une minorité de blancs. Ça tu le sais Dulce, il suffit de vouloir le regarder et le voir ! Mais les gens que tiennent des propos de mépris xénophobes ne veulent pas voir. Cela les déculpabilise, les tranquillise et les arrange.

    Bien sûr que l’Afrique a et a toujours eu une culture, une histoire, une civilisation, des moments d’apogée et de déclin comme nous au Portugal et en Europe. Mais le pays colonisateur, le pays esclavagiste a voulu effacer la mémoire, les références historiques, les cultures de ces Hommes pour démontrer qu’ils ne l’étaient. C’est cela la tragédie et le crime de ces gens.

     Lis, informe-toi, car l’ignorance est le pire des maux, le pire des mépris et la mère de tous les crimes.

    -             Mais je m’en fiche de tous ces arguments-là. La vie des autres ne m’intéresse pas. J’en ai assez d’être douce. Mais pourquoi mes parents, ces idiots du village, ont pu me donner un prénom espagnol. Dulce par-ci ! Dulce par-là ! Mais, tu m’entends ! Je ne suis ni douce ni gentille, je serai le diable, s’il le faut. Le diable pour enfourcher, écraser, triturer ces sauvages. Mes parents, des ratés, des bons à rien. Ils n’ont même pas été foutus de me trouver un prénom portugais, convenable quoi, digne de ma personnalité. Des ratés !

     

    ***

     

    La baleine blanche

    Dina, la domestique de la maison, était une métisse svelte comme la reine de Saba. Elle était bavarde devant les regards de Monsieur Armando, le patron, mais restait silencieuse comme une carpe devant les reproches de Madame Dulce. Dina, la servante prétendait en aparté que sa maitresse était une hyène capable de réclamer sa part et même de voler un morceau de carcasse d’impala aux gros lions blancs. 

    -             Ce que les visages de craie peuvent manger et cette baleine blanche encore plus. Elle se gave comme un chancre. La Madame Dulce était grasse comme une baleine et ronde comme un tonneau à l’huile de palme. On se demande comment fait son mari pour lui poser le pantalon dessus, se moquait, en riant en cachette, toute la servitude de la maison. 

    -             Je mange, parce que j’ai à manger, moi ! Mais qu’est-ce que cela peut faire à cette tribu négrillonne, aux ventres creux. Mon dieu, ils vivent comme des animaux. Je ne peux même pas les voir en peinture. Puis Poursuivant avec emphase et passion. 

    -              Ce que j'admire et m'attire c'est cet Angola blanc. Il mange et possède sans limites. Puisque tous les blancs chassent, dévorent dans cette jungle, cette réserve africaine, quatorze fois plus étendue que la superficie de notre Portugal. 

    -             Pourquoi ne devrais-je pas faire de même ? Ne suis-je pas leur patronne ! Moi, Madame Dulce, Maîtresse de toute cette négritude, par la volonté de Dieu, je veux ma part, toute ma part ! C’est mon devoir et mon droit ! Que cela se sache, criait-elle rouge comme braise crépitante de bois de châtaignier. 

    Tout ce que nous possédons nous appartient grâce à notre courage et à notre travail, bande de paresseux. Nos maisons, nos plantations, nous appartiennent et gardez-vous d’y toucher !

    Par la volonté de dieu, nous avons apporté la civilisation et la foi en Notre Seigneur Jésus Christ. C’est pourquoi selon la loi et la justice divine, cette terre africaine sera à nous, pendant des années, des siècles et des siècles, de gré ou de force.

     Ces maudits nègres peuvent aboyer, tant qu’ils veulent, mais dans leur Musseque. En fin de compte, ces sales noirauds ne sont qu’une bande de bandits de terroristes indépendantistes. Des lâches ! A la moindre déconvenue, ils s'enfuient dans le cœur de la forêt, la queue entre les jambes de peur de recevoir un coup de pied au cul. 

    -             Mais Dulce, comment peux-tu parler ainsi de ces gens qui ne t’ont rien fait et qui ne réclament que ce qui leur appartient. N’ont-ils pas été dépossédés de leurs terres ? Ne sont-ils pas de ce pays autant que toi, voir même plus ? Ne sont-ils pas, tout simplement des personnes, comme toi et moi ?

    -             Des sales nègres, voilà ce qu’ils sont ! Ne vient plus m’entourlouper avec tes belles phrases !

    -             Je ne sais pas qui est sale. En tout cas ils se lavent plus que beaucoup d’autres personnes ! J’ai entendu dire par ta maman que ton défunt père s’était lavé trois fois dans sa vie, à sa naissance, pour son mariage et lors de sa mort. 

    -             Ne me parle pas de mes parents ! des ratés, des incapables. Mais tu as vu les tiens ?

    -             Peu importe. Dulce, tu n’as que le teint de la couleur de la peau dans ta bouche et des clichés. Une bouche qu’à force de dire des saletés, finit par sentir mauvais ! La couleur de la peau ! Tous les jours ! As-tu, au cours de ces dix ans passés dans ce pays, essayé de te mettre à leur place, pour les comprendre, pour les découvrir, les connaître et voir ce qui hante leurs cœurs ? Tu devrais ! Il serait temps de les regarder, ne crois-tu ? Ne vois-tu que tes arguments ne tiennent pas, qu’ils reposent sur des mensonges que tu veux passer par des vérités ? Combien de fois dois-je te le répéter Dulce. Je te l’affirme une fois de plus que, ce n’est pas parce que l’on répète des mensonges pendant des siècles que ces mensonges deviennent des vérités ! 

    -             Non, non et non. On ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Si tu les aimes tant, tu n’as qu’à aller à habiter avec eux dans le Musseque. Tu y seras bien reçu !

      Madame sortit de la maison en claquant la porte et partit faire un tour à cheval dans la plantation. 

    Une heure après, elle rentra plus calme à la maison, mais Madame Dulce campait toujours sur ses positions. Puis la chef de la maison fit observer à son mari, que l’on ne faisait pas d’omelette, sans casser des œufs.

    -             Ta femme, Armando, n’a pas fait ce long voyage, depuis son village des Beiras, dans le nord du Portugal, pour être une va-nu-pieds, une crève-la-faim. Cela plus jamais ! Pauvre, elle l’a été et trop longtemps. Mais maintenant tout cela c’est du passé. Seul le présent compte mon petit Armando. Puis Dulce ajouta indiquant de l’indice la tête.

    -             Mon joli, mets cela dans ton caillou, plus dur que le granite de ta Roustina de rocs et pierres ! puis elle continua.

    -     Maintenant la roue de la vie a tourné. Le passé n’existe plus, seul le présent m’intéresse. La tension électrique de Madame était toujours prête à provoquer un court-circuit. Dulce finit par dire à son mari qu’il n’était pas un homme.

    -    Tu n’es pas un vrai homme et encore moins un maître, capable de se faire obéir et respecter.

     Alors, si elle devait porter le pantalon à la maison et se servir du fouet, voire de ses armes de chasse à la « palanca negra », une sorte géante d’antilope noire, pour activer ces fainéants de nègres, qui ne pensent qu’à faire la sieste sous les cocotiers, à tourniquer toute la nuit dans leurs tanières, au lieu de travailler, elle le ferait. Je les fouetterai, moi, Monsieur sans rien dans le pantalon.

    Ces africains ce sont des indigènes, des païens, des sauvages qui ne mangent presque rien. Si on ne mange pas, comment peut-on travailler. Des radins !

     Ils ne dépensent pas le moindre sou, pour acheter ce n’est-ce qu’un peu de tissu et couvrir décemment leurs vergognes. Tout leur argent s’en va en rhum local.

     Alors Armando, comment veux-tu qu’ils aient l’idée de travailler, ne serait-ce qu’un peu, pour gagner leur vie. Ils ne pensent qu’à forniquer toute la nuit et à engrosser leurs grosses bonnes femmes aux seins nus. Mais elle, Madame Dulce, leur apprendrait à coups de fouet ce que qu’est le travail et les bonnes manières ! Meute de sauvages ! Bande de bons à rien !

     

    Le lecteur, bien que silencieux tout au long de cette péripétie qui, était courante dans les milieux des colons portugais enrichis des années 50, ne peut plus rester sans rien dire. Révolté par de tels propos il interrogea :

    -             Madame Dulce ! Mais l’êtes-vous vraiment ? Néanmoins veuillez observer que dans cette vie tout le monde travaille. Mais remarquez que l’homme blanc, le colon, travaille pour son gain et son bien-être. En revanche l'homme africain a travaillé contraint et forcé pendant des siècles gratuitement. Pour qui ?

     

       * * *

     

    Dilma la mère célibataire

    Quatre tôles formant un cube, plus une cinquième de préférence ondulée en guise de toiture, beaucoup de sueur et au bout de quelques heures la Cubata est debout. Debout oui, mais écrasée par le soleil et si on ne veuille pas à couvrir la toiture de quelque végétal que ce soit, il fera plus chaud à l’intérieur que dehors. La terre battue sert de plancher et pas de porte d’entrée, pourquoi faire, puisqu’il n’y a rien à voler !

    A l’intérieur, allongée sur une natte tressée de capim la doyenne se repose faisant semblant de dormir, Dilma sa fille regarde une image sainte d’Yémanja et son fils de cinq ans traine dans ses pieds.

    Juste à côté de l’entrée de la cubata trois mouches noires le dos recouvert de rouge picorent une galette de bouse de vache encore fraîche. Deux petits cochons noirs s’échappent des cases. Le ciel est un immense tissu bleu sans déchirure aucune. Sa majesté le soleil tropical affirme son fort caractère sur la terre poussiéreuse et rouge du Musseque*. Un silence de deuil tombe telle une chape de plomb sur les toitures des cubâtes. Toute vie se repose en cherchant des forces à l’ombre.

    Dilma perd son temps, assise sur une chaise dans le seuil d'entrée de la case pour bénéficier du moindre courant d'air. Elle ne parvient pas à trouver, ni le calme, ni la fraîcheur, mais ressent une douleur de feu qui lui brûle le pied. Une des mouches se pose sur ce maudit pied et semble lui picoter ou lécher la blessure. Dilma ne s’en rend pas compte vraiment. Mais il lui semble cependant que le travail de l'insecte semble calmer quelque peu la douleur qui pénètre sournoisement comme un serpent jusqu’en haut de sa jambe.

     L’autre soir, au moment, où elle s'est fait cette saloperie de blessure, la nuit était encore plus noire, plus sombre que sa vie. Cette damnée boite de conserves vide, coupante comme une lame, lui avait pénétré dans la chair, lui faisant encore plus mal que les visites en cachette des soldats tugas. Ces crapules venaient toujours dans le silence et l’obscurité de la nuit.

     En quittant la maison, sa vieille mère lui avait intimé l'ordre d’être à l’heure au rendez-vous. 

    -              Menina, você sabe, branco não gosta esperar !  Mademoiselle, sait que blanc n’aime pas attendre !

    Elle s’est dépêchée courant dans l’obscurité et maintenant voilà le résultat. Cette maudite blessure.

    -               Tugas du diable, que Satan vous emporte en Enfer.  Cria–t-elle de douleur et de rage en pleurant à tristes larmes.

    C’est que la boutique de ti João était loin. Sur les épaules, elle portait un sac d’haricots devant et celui de riz derrière. La pauvre Dilma marchait courbée, chargée comme une bourrique. 

     Pas d’homme à la maison, sauf son fils Moisés qui, n’était qu’un enfant de 4 ans. Moisés était là assis sur le sol de terre battue de la cubâte. Il n’avait même pas envie de jouer. Il se morfondait avec un regard triste de chien battu. Le petit Moisés était plus mûr et faisait plus vieux que son âge. Il consolait sa mère avec tendresse : 

    -             Maman, quand je serai grand, je serai ton homme. C’est moi qui porterai les sacs d’haricots et de riz. Ma petite maman je t’achèterai de la peinture, comme celle des dames blanches, pour mettre sur ton visage. Comme tu seras belle, maman !

    -             Mais oui ma petite fleur de bananier. Tu es adorable mon petit bonhomme. Viens que je te prenne dans mes bras, mais attention à mon pied.

    -             Oui maman ! Je ne veux pas que tu sois triste.

    Ce n’étaient que des paroles. Des paroles d’un enfant, mais de son enfant. Ce petit bout de tendresse, était si mignon, avec sa petite culotte blanche en coton fendue et laissant son cul à l’air pour toute nécessite rapide. Il était la seule joie de sa vie, mais une joie sans rires. Si Dilma n’avait pas eu à sa charge sa vieille mère malade, et son fils, elle aurait étripé ces Tugas quand ils la pénétraient dans son corps. Cette haine refoulée allait s’accumulant à chaque descente des violeurs de son cœur autant que de son corps. Mais le jour de la vengeance viendra plutôt qu’ils ne le croient. Ce sera une nuit sans lune. Elle viendra à la tête d’une constellation d’étoiles en feu pour leur bruler le cul et l’arme du crime à tous ces misérables infames.   

    Je ne suis pas un trou ! Je ne suis pas une poubelle ! Je suis Dilma ! Je suis une personne ! Je suis une femme ! Je suis capable d’égorger ces cochons blancs qui salissent mon corps noir, qui tâchent mon cœur ! Mais que puis-je faire toute seule devant autant de pouvoir, devant force brute et sauvage de ces salopards ! Que faire, sinon subir sans rien dire le martellement de la soldatesque violant mon honneur ?

    Elle ne pouvait plus supporter le sacrifice. Elle ne pouvait plus porter cette croix trop lourde. Elle n’en pouvait plus. Un jour elle ne se laisserait plus faire, ni se taire. Un jour viendrait où, elle ne resterait plus amorphe, écrasée malgré elle, en dessous de l’autre, des autres. Si le rassemblement des étoiles tant attendues ne se dépêchait pas d’arriver.

    Un jour, une nuit au moment où, ils volent à son corps le plaisir, elle toute seule, leur enfoncerait son coupe-coupe dans leur corps comme un matador portant son estocade.

     Ce jour-là elle tuerait le Tuga par devoir, le soldat par plaisir et le violeur par la haine de son corps de ses entrailles.

     Ce jour-là elle se sentirait enfin femme. Une femme marchant le jour dans la rue la tête haute arborant dans son visage un air de liberté.  

    * Musseque- un quartier dans un village angolais. * Cubata – case en tôle. Um Tuga- un Portugais.

     

    * *  *

     

    Les anges des ténèbres

    (De la Police Internationale de Défense de l’Etat)

    La lumière jaune de la voiture zigzaguait entre les cases comme serpent en quête d’une proie. Brusquement le véhicule s’immobilisa laissant des traces de pneus dans la poussière rouge. Un silence funèbre s'était abattu avec lourdeur sur le Musseque. Tout d’un coup l’infime bruit resta sans voix. Écrasé comme fourmi au sol. 

     L’angoisse se leva, comme le brouillard se faufilant dans la tristesse de la nuit. La douleur semblait déjà tourbillonner dans la cheminée du firmament. Puis, elle s’agrandit couvrant tout l’espace. C’est un épais manteau noir. Comme un orage furieux fulminait avant de s’abattre sur quelqu’un. 

    Qui sera la malheureuse victime ce soir ?  Est-ce que ces anges des ténèbres apportaient avec eux l’intention de donner la mort ? Allaient-ils se contenter de frapper, de blesser, de cogner, de taper et faire mal, très mal ?  Allaient-ils faucher, une vie, deux, voire plus. Plaise à Dieu qu’ils se satisfassent seulement de meurtrir des corps en laissant sur eux, leurs empreintes bleues tirant sur le noir. 

     La mort n’avait pas d’importance. Et la vie ? Celle des autres peu leur importait. Seule la leur comptait. Seule la leur avait de la valeur. 

    Et les autres ? Mais qui étaient-ils les autres ? Rien de rien ! Nous ne voulons pas savoir. Pourquoi donc se poser des questions ? 

    Mais les autres, ce sont les mauvais et nous les bons. En cet Angola, comme dans notre Portugal, nous savons qu’il y a des bons et des mauvais. Il faut trier et nous le faisons. Nous sommes dans notre bon droit. Pourquoi donc s’interroger ? Ces ordures ce sont des salauds, des terroristes, des rouges. C’est simple, c’est clair, c’est tout. Plus on en tue, moins il y en a et plus on en liquide, mieux ça vaut. Un noir de mort, c’est un terroriste de moins ! 

    Que s’est-il passé, cette fois-ci ? On n’entend plus rien. Que c’est long, ce temps qui passe. On ne sait pas si quelque chose de grave est arrivé.

    Mais ? Mais d’où arrivent-ils ? Pourquoi viennent-ils chez nous ? Ils reviennent de plus en plus souvent. Ils sont à chaque fois plus nombreux. Quelle plaie ! Et de plus en plus menaçants ! Pourquoi ? S’en iront-ils un jour ? Comment s’en débarrasser ? Quand ?

    Nuit sans fin. Nuit sombre. Triste et macabre tableau noir. Nuit comparse, tu es avec eux, veux-tu effacer les traces de leur crime, veux-tu cacher nos douleurs, Veux-tu cacher, effacer nos ruisseaux de sang. Nuit, tu es complice !

    Enfin. Il semble arriver de loin un léger bruit. Il monte en intensité. S’approche distinctement. C’est une infraction.  Des éclats. L’on entend, comme des coups dans l’acier, des voix menaçantes suivies maintenant d’échos de vaisselle brisée. Des cris, des coups, des coups assénés sur des corps, des coups de pied sur des casseroles. Des cris, des pleurs d’enfants grandissant d’effroi.

     Des enfants oubliés de Dieu. Des enfants rêvant du Paradis, quelques instants avant le drame. Ils sanglotent maintenant à chaudes larmes. L’enfer leur tombe dessus. C’est l’épouvante.

    Tout drame ou tragédie a trois temps. Après le temps du sacrifice, le temps le plus long, arrive la fin de la victime. Et après ? Plus rien ? Non ! A la fin de tout se trouve le denier temps : leur devoir. En son nom, les anges noirs se donnent tous les droits.

    -             Chef, service accompli. Maintenant il faut déguerpir avant que la populace n’arrive. Au plus vite, allons-nous-en ! 

    Des sanglots s’étouffent peu à peu dans la nuit. Le moindre bruit s’en va dans le labyrinthe de la nuit. Que s’est-il passé ? La nuit sombre voudrait tout effacer, mais voici que se lève la lune et arrive la lumière.

    Dans la cubata un fleuve de sang irrigue le sol en terre battue. Cinq corps défigurés et sans vie, dont deux enfants sans âge, gisent au sol le visage rouge de sang, encore chaud, mouillant la poussière. Un chat noir miaule, effrayé, caché sous un bahut de bois d’ébène.

     

     * *  *

    Au secours !

    Aïe ! De l’aide !  Au secours !

    Nous sommes les agneaux sacrifiés

    Par la main sanguinaire de la P.I.D.E.*

     Aïe ! De l’aide !  Au secours !

    Notre sang noir coule au son du tambour

    Nous sommes l’autel d’holocauste du temple

    La fresque macabre de la vie

    Nuit complice à genoux prie

     

    Aïe ! De l’aide !  Au secours !

     Dieu créateur de la beauté de la nature

     Dieu souffleur de terre, encens de bruyère

     Dieu du néant et de la poussière

    Dieu magicien habile de la vie

    Punis, punis, les anges ténèbres de la PIDE

    Douleur, blessure, angoisse infinie

    Juge le prince des démons de Lisbonne

    Va, prends ton triangle, frappe, gifle, cogne

    Ô Yahvé ! Je te l’ordonne, je te l’ordonne

     

    Viens enfin avec nous Yeshoua !

    Prends la croix par la queue

    Ose une de tes habiletés de magie

    Fais de la croix un lourd marteau

    Fais-leur vivre le mal qu’ils nous ont fait

    Tape, frappe, gifle, cogne

    Enfin, défends-nous de ces Saligauds !

     

    Hosanna ! Hosanna ! Hosanna !

    PIDE/OVRA/ GESTAPO/DGS/STASI

    Chevaliers de la mort dans nuit,

    Ils ont massacré notre père bien aimé

    Notre chanoine Manuel Mendes Névés !

     

    La douleur enfante la mort

    Donne vie à la rébellion

    Le peuple tout entier est en furie

    Déjà au soleil l’acier des coupe-coupe brille

    L’horreur du passé se venge dans les plantations

    L’esclave et séculaire soumission

    S’enivre dans la colère

    Se laisse dévorer par la haine

    C’est le 4 février et 15 mars 1961 !

     

    Ô écorché Être Humain 

    Dans ton aveugle vaillance

    Ne crois-tu pas avoir tord

    De donner vie à la mort

    De donner vengeance

    À la souffrance ?

    *(police secrète pendant la dictature de Salazar 1933-1974)

     

     * *   *

     

    La nuit du 15 mars 1961

    La nuit du 15 mars semble se perdre dans les sursauts d’un long fleuve dont le débit tumultueux cherche son chemin. L’ensemble des étoiles s’est retiré depuis presque quatre heures dans leur palais situé dans la partie la plus boréale du firmament. Elles tiennent une séance extraordinaire.

     L’assemblée gouvernementale parle, discute, crie, disserte sur quelle attitude adopter. Mais l’aurore, tapant nerveusement du pied, commence à montrer son impatience. Quant à sa Majesté la Reine de toutes les étoiles, elle exige que l’on se dirige, une fois pour toutes, vers une décision finale. N’est-il pas plus que temps, que la sagesse de chacune dégage enfin une décision en faveur de ces gens infortunés. Pourtant, un petit groupe d’étoiles se croyant descendantes de dieux supérieurs, ne veulent surtout pas s’abaisser à l’écoute et au sort de ces humains, à leurs yeux d’astres, si ordinaires.  Qu’ils crèvent ou pas, leurs vies ne les intéressent pas. Par contre, certaines d'entre elles, au cœur plus chaleureux à l’égard d’autrui, demandent à l’assemblée qu’elle réponde positivement à la question qui se pose : 

    Doivent-elles, les étoiles, protéger dans la pénombre les pas timides et les mouvements tumultueux de cette foule, là tout en bas, à portée du fusil des forces colonisatrices ou, doivent-elles briller d’une lumière vive et limpide afin de les guider dans leur chemin vers la conquête de la liberté ?

    En même temps, dans son lit royal, Sa Seigneurie, le Soleil, se tourne et se retourne dans ses draps soyeux, transpirant de sueur comme si l’on était déjà sous la chaleur tropicale de midi. 

    Nonobstant, personne ne semble vouloir ou pouvoir faire quoi que ce soit. Pourtant, si aucune décision n’est prise, le destin de ce pauvre peuple, une fois de plus sombrera dans le drame et s’achèvera dans la tragédie.

    Pour combien d’années encore, leur sang va tacher de rouge les champs blancs de coton ? Combien de corps noirs vont nourrir avec leurs os et leurs chairs la terre des plantations de café, de canne à sucre, de tabac des colons en ce pays africain ? Pourquoi ce peuple continuerait-il indéfiniment à mourir sur l’autel des sacrifices du Temple blanc ? 

     Mais au moment où la destinée semblait mener, une fois de plus, à la mort fatale cette foule désespérée, un petit vent austral apporte en même temps que sa fraîcheur la mélodie et la danse d’une morne.

     Enfin, l’immobilisme centenaire semble donner signe de vie. Même l’éternelle lenteur semble se dynamiser.

     L’on dirait que dans les herbes jaunâtres et sèches, l’endormi piton populaire, qui année après année, mange à peine à sa faim une nourriture de charognards, semble cette nuit avoir une faim d’indépendance, de fierté et de liberté.

    Quelque décision là-haut, dans le ciel aussi, est en train de se mouvementer. Est-ce que quelque chose encore de mauvais ou, finalement de bon va se passer ?

     Certains plus optimistes prétendent que quelque évènement doit enfin arriver. Mais au fond, quand on n’a rien à perdre, tout le monde veut s’accrocher au moindre espoir. 

    C’est à ce moment-là que, tout d’un coup, la Lune toute en rondeur le regard décidé, l’allure triomphale sort en claquant la porte de derrière un nuage et clame à qui voulait l’entendre :

    -             Il faut protéger ces va nus pieds. Tant d’années piétinés, tant de siècles de leur sang vidés, trop de temps délaissés et abandonnés.

     

     

     * * *

     

    La Lune Bienfaisante

    Grâce à un tour de magie, la Lune toute majestueuse, joignant le geste à la parole, irradie une lumière tamisée formant un immense halo lumineux. Celui-ci protégeait cette foule noire, là tout en bas, et lui permettait de voir dans l’obscurité de la nuit sans être vue. Mais étaient-ils invisibles ? La plupart le croyaient ! 

    Quelques hommes plus vieux, s’imaginant être des sages, crurent voir derrière l’éclat de la lune la figure tant regrettée, du bon et mythique chanoine Manuel Mendes Névés. 

     Un coupe-coupe à la main, le religieux semblait chevaucher un cheval noir se cabrant dans le ciel bleu. Sa soutane noire flottait largement au vent et une tache rouge de sang, comme une étoile, maculait autant qu’illuminait, sa chemise blanche au col romain. 

     Des femmes, fort nombreuses dans la foule, se figurant être des mages, prétendaient que le bon prêtre portait dans la main droite, non pas un coupe-coupe, mais un étendard rouge et noir. 

     Mais un grand nombre de manifestants était persuadé que cette nuit serait une date historique qui pressait son pas. C'était le moment. Il n’y avait plus de temps à perdre dans de stériles discussions. 

    Il y avait un désordre apparent et un immense brouhaha, contrôlé presque étouffé. La Lune regardait en bas, ces petites silhouettes sombres venant des Musseques voisins, mais aussi d’ailleurs lointains. Au fur et à mesure que la nuit avançait, elles accouraient de partout avec la rapidité des eaux lors d’un orage d’été. 

      Cette déferlante humaine venait se concentrer dans une large cuvette, à la terre rouge. Celle-ci était délimitée par de vertes collines où les cannes, secouées avec vigueur par le vent, rendaient secret le tumulte grandissant de la foule. Les silhouettes qui au début du mouvement semblaient des gouttes de rosée, se transformaient maintenant en un fleuve qui, peu à peu, s’élargissait devenant un lac dont les eaux montaient, en s’introduisant dans les bras de chemise de la vallée. 

      Ces eaux avaient la même couleur noire que ces gens. Elles avaient drainé, depuis la cime sombre des montagnes, toute une pléiade de vies dures, mais toujours mises dans l’ombre. Ces eaux étaient comme ces femmes et ces hommes. Ces derniers n’avaient pour ainsi dire, jamais connu le moindre rayon, ni de lumière, ni d’espoir. 

     Leur vie, comme celle de leurs ancêtres esclaves, avait été une vie tellement noire que, la couleur de leur épiderme devenait symbole de leur condition. 

     Mais pourquoi la vie de l’homme noir, devrait-elle être toujours aussi noire, aussi sombre, aussi obscure ?

    La Lune remarquait avec un léger étonnement que cette foule noire était saupoudrée çà et là de sel blanc. Quelle ne fut pas sa grande stupéfaction, quand elle aperçut ce petit garçon qu’elle protégeait en silence, avec un amour presque maternel, depuis qu’il avait été expulsé, comme un enfant bâtard de ce village reculé des montagnes du nord du Portugal.

    Maintenant le petit Wald était là, comme un grand, au milieu de la foule même si son âge n'atteignait pas encore les dix ans.

    En cette nuit, si la pauvre Lune ne s’était pas agrippée par deux fois aux rochers des collines célestes, elle se serait étalée sur cette foule. Cela ne se pouvait. Alors dans le cosmos, la Lune, l’astre aussi puissant que le masculin soleil, fit vœux de veiller sur la vie de ce peuple, son peuple, sinon, elle se sentirait responsable de leur mort ! Tuer par amour quand celui-ci doit donner la vie ! Non, cela ne se pouvait ou alors la colère entraînerait avec elle la fin de la terre et de l’univers. 

    C’est que la Lune a le pouvoir de la féminité de la femme, mais aussi la passion maternelle de la mère.

     En effet, en apercevant le petit Wald, elle ne put s’empêcher de verser un clair de lune de chaudes larmes.

     

    * * *

     

    Était-il, le fils de la lune ?

    Par le rêve ou la réalité, personne ne le savait, Wald créait, inventait choisissait une direction. Par convention ou superstition il se vantait en riant d’être le fils de la lune. Ses camarades de classe et de la rue en profitaient pour le narguer, les grandes personnes ne pouvaient pas le croire, mais tout le monde se posait des questions sur l’originalité et l’extravagance de ce garçon qui parlait parfois avec l’aplomb et la conviction d'un adulte : 

    -                      Bénir ou maudire, il faut choisir avait-il l’habitude de dire.

     

    Dans la cour de l’école Sa da Bandeira  Wald jouait à la toupie, à saute-mouton, mais il refusait de jouer au jeu des conquêtes des châteaux féodaux. Par artifices, ruses et manigances, tous les enfants blancs étaient triés sur le volet. 

     Ils étaient issus des différentes plantations et des familles de fonctionnaires de la ville. Tous voulaient appartenir au Groupe Patriotique de l’école. En général, seulement les fils à papa pouvaient faire partie naturellement de ce groupe. Mais, lorsqu’ une personne était devenue influente dans la société, il était courant que celle-ci intervienne auprès du directeur de l’école afin que celui-ci soit bienveillant avec sa progéniture. 

     Le maître directeur ne restait jamais sourd à cette sorte de demande, si son intérêt était discrètement bien rémunéré en argent, avantages sociaux ou titre de notabilité et notoriété. Alors avec la bénédiction du maître directeur, le Groupe Patriotique de l'école s’enrichissait d’un nouveau combattant. 

    Wald comme enfant blanc eu le droit, sans difficulté à fréquenter cette école majoritairement blanche.

    Sa personnalité hors du comment et sa renommée d'enfant rebelle qui l'accompagnait, se propagea dans l'école dès les premiers jours de l'année scolaire. Tout le monde voulait être l'ami de Wald, dont le prénom d'origine étrangère, ajoutait encore du mystère et de la curiosité.

    Tous les matins en arrivant à l’école il recevait des invitations lui priant de rejoindre le Groupe des Patriotes. Elles étaient toujours accompagnées d’un bonbon, d’un carambar ou autre gourmandise. Mais la réponse de Wald était toujours négative. Il était également courtisé par le groupe antagoniste composé des enfants de blancs ratés.  C’était le Groupe des Ennemis. 

     Ils étaient les traîtres, les antipatriotes, les indépendantistes, toujours les perdants, dans les jeux des conquêtes de châteaux ! 

    Wald n’accepta aucun des deux groupes. D’une part, il n’aimait pas perdre, et d’autre part, il ne souhaitait pas non plus gaspiller son temps dans un jeu, qu’il considérait inutile et débile, de blancs gâtés vivant en dehors de la réalité. 

     Au fond de lui-même, Wald se trouvait coincé et révolté, entre deux Angola qui vivaient côte à côte, sans se côtoyer, tout en se méprisant avec plus ou moins de haine, selon les circonstances et les moments. Une question le taraudait et l’empêchait parfois de dormir : Pourquoi les enfants blancs allaient dans des jolies écoles, tandis que les enfants noirs, eux, allaient traîner dans la saleté des Musseques habillés d’haillons, comme leurs parents, que même le diable n’aurait pas voulu porter ? 

    Comment aurait-il pu jouer à ce jeu de conquêtes de châteaux féodaux appartenant à un autre monde inconnu en Angola, et imaginé par les blancs, quand son cœur le poussait de l’autre côté, celui de la réalité quotidienne des enfants noirs. 

    -             Papa ! Pourquoi tous les noirs sont pauvres ?

    -             Que dis-tu là ! Ils ne sont pas tous pauvres.

    -             Tu en connais des riches ? Peut-être à Luanda, car ici à Nova Lisboa je n’en connais aucun ! Puis Wald enchérit.

    -             Mais pourquoi tante Dulce dit que les noirs sont fainéants ?

    -             Ils sont comme tout le monde, il n’y a pas de différence.

    -             Il n’y a pas de différence ?

    -             Non ! Aucune !

    -             Mais pourquoi les blancs vivent dans des belles maisons et les noirs dans des baraques en tôle. Tu sais l’autre jour je suis arrivé en retard parce que l’inquiétude m’a piqué de curiosité. Oui papa ! Je suis allé faire un tour au Musseque. J’y ai vu tellement de pauvreté, tellement de tristesse dans les yeux des enfants de mon âge. Mais j’ai vu aussi beaucoup de haine dans les regards de leurs parents. L’un deux me toisa en criant :

    -             Fous moi le camp d’ici blanco sinon…

    -             Sinon quoi ? De manda le père de Wald.

    -             Sinon on va te faire la peau, espèce de blanco ! Va-t’en !  Dégage salaud !

    -             Mais Wald, je t’avais dit de …  Si ta maman savait ça… Ecoute mon petit Wald. La vie en Angola… Mais Wald … Ce ne sont pas des sujets de discussion de ton âge. Ne recommence pas ! Allez oublies tout ça !  Non ce n’est rien ! Allez Wald, va jouer avec tes copains !

    -             Tu crois papa, que j’ai envie de jouer. Je ne suis plus un enfant !

    -             Mais si, Mais si !  Viens ici dans mes bras mon petit Che Guevara !

    -             Papa ! Regarde-moi. Est-ce que tu aimes encore ton petit Wald ? Je crois que, moi ton fils, je suis devenu, noir et angolais. 

    -             Mais oui, mon petit Wald, mon petit cœur à son papa et à sa man ! Mais tout le monde à la maison est angolais. Mets-toi ça dans ton petit caillou, le petit chouchou chéri de son papy du Portugal. Il va falloir lui écrire un petit mot pour lui raconter toutes tes aventures périlleuses. Il sera fier de toi, j’en suis certain !

     

    Les amis de la lune

    Tout d’un coup la lune se cacha derrière un nuage laissant la nuit dans une obscurité inhabituelle à cette heure-là. Les anciens y virent un signe favorable. La Lune était avec eux. Ils se croyaient des combattants invincibles. Les balles de l’ennemi ne pourraient pas les tuer. Le peuple est invincible. La victoire de l’Angola est proche et certaine ! 

     Au loin dans le village les coqs se mirent à chanter de concert.

     

    - Écoutez comment chantent les coqs au village, fit remarquer Dunga un des vieux sages du groupe.

    - Ils annoncent l’aube d’un nouveau jour, dit Claudio avec une lueur d'espoir qui brillait dans ses yeux bleus.

                    Écoutez les « Grains de Sel » Faites bien attention ! C'est avec ce surnom que les noirs africains taquinaient les blancs. A leur tour les blancs traitaient avec un humour amical leurs amis noirs de « Grains de Poivre 

                    En ce 15 mars 1961 jour de désobéissance noire, c'est aujourd'hui que commence notre rébellion. Attention ! Attention ! Cria une partie du groupe. Mais aussitôt la foule repris en cœur :

    -Attention ! Attention les Colons !

     L’Angola est à nous ! L’Angola n’est pas à vous ! L’Angola est à nous ! L’Angola est à nous !

     

    *

    « Angola du 4 février puis le 15 mars 1961 ! »

     

     

    En ce jour

    Angola n’Gola

    Mon amour

    Ô minha Angola, N’Gola minha !

    Pays tropical 

    Africain, lusophone et Austral 

    Paradis meurtri de l’Afrique 

    Ta beauté est sans égal

    Enlaidie par le pouvoir colonial

    En ces jours

    La douleur enfante la mort

    Donne vie à la rébellion

    Le peuple tout entier est en furie

    Déjà au soleil l’acier des coupe-coupe brille

    L’horreur du passé se venge dans les plantations

    L’esclave et séculaire soumission

    S’enivre dans la colère

    Se laisse dévorer par la haine

     

    Ô écorché Être Humain

    C’est le 4 février

     Puis le 15 mars 1961 !

     

    Ô écorché Être Humain

    Dans ton aveugle vaillance

    Ne crois-tu pas avoir tord

    De donner vie à la mort

    De donner vengeance

    À la souffrance ?

     

    Ô écorché Être Humain

    C’est le 4 février

     Puis le 15 mars 1961 !

     

    La douleur enfante la mort

    Donne vie à la rébellion

    Le peuple tout entier est en furie

    Déjà au soleil l’acier des coupe-coupe brille

    L’horreur du passé se venge dans les plantations

    L’esclave et séculaire soumission

    S’enivre dans la colère

    Se laisse dévorer par la haine.

     

    Ô écorché Être Humain

    C’est le 4 février

     Puis le 15 mars 1961 !

     

     

    * * *

     

    La manifestation de…

    La foule se mit en mouvement. Comme un piton se faufilant entre feuilles et tronc secs, elle se glissait en lisière de la savane pénétrant de temps en temps dans le touffu de la forêt. Il faisait encore obscur, alors pas vraiment besoin de se cacher. Quelques-uns plus étourdis que d'autres glissaient dans la gadouille provoquée par un très fort orage vieux de deux jours.

     Certains hommes, un peu éméchés par la « cachaça », agitaient des gourdins, des outils agricoles, des coupe-coupe, dont ils voulaient faire des armes blanches. Ils, voulaient se porter candidats pour le combat, être en première ligne et casser du blanc.

     Monsieur Pierre, un grand noir à l’accent français, informa ses hommes que les consignes du mouvement ne seraient connues qu'une fois que le groupe serait arrivé dans le petit stade de football situé non loin du Musseque Lixeira. 

    Claudio, Armando et autres « Grains de Sel » peu nombreux dans cette foule commençaient à se méfier de certains cris de vengeance et ne comprenaient pas que les consignes du mouvement ne soient pas claires depuis le départ.

     Claudio prit la parole, il tint à leur rappeler que la plupart des manifestants, blancs, noirs, métisses présentes étaient venus protester leur indignation contre la violence meurtrière, mais n'avaient nullement l'intention que cette violence soit remplacée par une autre violence. 

    -             La violence n’engendra que plus de violence et la violence nous entraînera à la guerre. La guerre mes amis ne sera que destruction, recul, attardement social, économique, mort, haine entre nous, et cela pendant des années et des années. Mais après le cataclysme de la guerre, il faudra revenir au moment présent, à celui d’aujourd’hui qui doit être celui de la réconciliation, mais aussi d’un changement vers un Angola plus juste et meilleur pour tous. Pour tous m’entendez-vous ? Ne sommes-nous pas présents ici que par solidarité. Ne sommes-nous pas le peuple angolais sans différence de couleur ni d'origine ? Puis montant sa voix. 

    -              Noirs, blancs, métis nous sommes tous l’Angola, L’Angola de demain ? Au loin l’on entendit des sifflets. Étaient-ils de Solidarité ou de protestation ?  

    -             Grain de Sel Blanc, tu parles très bien. Qui ne voudrait croire à tes paroles ? Cet Angola-là nous l’attendions depuis cinq siècles ! Mais quelle est la réalité aujourd’hui ? Elle est toute autre. Mon cher Grain de Sel, nous africains noirs, nous sommes désespérés. Nous n’avons plus d’espoir avec les blancs ! dit Monsieur Pierre avec un sourire narquois, puis il ajouta : 

    -             Je ne me fais plus d’illusion sur vos belles paroles, ni sur les intentions de votre chef de Lisbonne. Il est temps de commencer à faire vos valises de retour. 

      Monsieur Pierre avait parlé d'un ton sec, et avec une attitude d’indifférence que voulait dire que son choix était fait et que rien ne le fera changer d’avis. 

     

    -             Mais non mon cher Grain de Poivre, lui répond Claudio avec humour et en le tapotant sur l’épaule. Nous ne sommes pas aux ordres du Caudillo de Lisbonne. C’est au Portugal que nous avons fait les valises. Cher ami Pierre, pas de valises ! Point de retour !  Nous sommes tous chez nous en Angola, pour reconstruire pour aller tous de l’avant. Puis il ajouta. 

    -              Notre présence à la manifestation n’était-elle pas une preuve s’il en fallait une. Il lui rappela qu’en métropole, il y avait un mouvement qui souhaitait que Satan Lazar s’en aille au diable. Que le dictateur lisbonnais ne pouvait pas rester indéfiniment au pouvoir. Que la société portugaise était en train de bouger. Que les élections présidentielles de 1958 furent une mascarade. Que tout le monde sût que l’opposition guidée par Humberto Delgado avait gagné haut la main ces élections. Qu'aujourd’hui le gouvernement de Satan Lazar était isolé en Europe, mais aussi dans le Monde. Poursuivant avec plus d’enthousiasme encore. 

    -             Mon cher Pierre et camarade, tu devrais savoir que seule l’Afrique du Sud de l’apartheid ou presque, soutient le dictateur. Le pays entier manque de liberté. En métropole la grande majorité des Portugais souffre économiquement de la situation. Une bonne partie des jeunes et moins jeunes, sans avenir, quittent par centaines chaque jour ce Portugal de Satan Lazar qu'ils considèrent comme une prison. Des villages entiers se vident. Cette population sans espoir abandonne le pays en quête de liberté, de pain, d'avenir vers la France, l’Allemagne et autres démocraties. Comme tu sais Pierre, Hitler, Mussolini, Pétain ont été chassés. Les dictateurs Ibériques partiront aussi. C’est une question de temps mon ami Grain de Sel ! Après un silence, Claudio rajouta : 

    -             La situation au Portugal va changer et après le meilleur est possible en Europe et ici en Angola. Le visage calme de Claudio s'illumina d'un sourire de paix. Puis, se tournant vers Monsieur Pierre pour mieux capter son regard fuyant : 

    -             Mon cher Pierre, il faut savoir regarder le passé, le temps présent, mais aussi l’avenir. Que nous soyons originaires de Métropole ou de l'Angola, ou du Congo comme toi, que nous soyons noirs, blancs ou métis, nous avons une histoire commune, depuis plus de cinq siècles. Comme dans toute famille, il y a eu des moments négatifs, mais aussi quelques-uns positifs. Ce n’est quand même rien mon cher Pierre ! Pourquoi veux-tu mettre tous les blancs dans le même sac ? Pourquoi cet amalgame ? Est-ce que tous les noirs nous suivent dans notre lutte ? Tous les blancs ne sont pas dans cette manifestation, mais nous, nous sommes là, avec vous et vous avec nous ! Non ? 

     

     

    ***

     

    Claudio ne savait pas si c’était à cause de l’obscurité de la nuit, de l’agitation de plus en plus nerveuse de la foule, mais la tension devenait palpable. Il s’était rendu compte que tout le monde ou presque était happé, comme précipité en avant, comme un flot inquiétant et inconnu. 

     Monsieur Pierre s’éloigna sans dire un mot.

     Claudio, se tût, trop tard peut-être, se demanda-t-il à voix basse. La réalité, c’est que personne ne l’écoutait plus. C’était comme s’il venait de recevoir un coup sur la tête donné par la queue du piton. Mais où était donc sa femme Virginia ? Où était passé son Wald ? Étourdi, il se mit à courir pour rattraper la tête du piton, ce monstre qu'était devenu la foule de manifestants. 

    - Tout ceci est très inquiétant !  Se dit Claudio comme s’il était tombé dans un guet-apens.

     

    * * *

     

    Le petit Wald

    Wald devait aller déjà dans ses dix ou onze. Comme tu le sais déjà lecteur il était un enfant espiègle, malin et taquin. Parfois il avait des airs présomptueux et même une certaine désinvolture colorée d’humour. Il n’était nullement un enfant comme les autres. La vie avait fait de lui presque un homme.

      Plus mûr que ne laissait paraître son âge, il parlait et agissait comme un adulte. Son comportement jetait souvent un certain trouble chez les gens qu'il fréquentait et mine de rien préoccupait ses parents.

     Mais qui n’aurait pas aimé être le parent de cet enfant tellement attachant ? De sa manière d’être se dégageait un cœur pur d’enfant, et de ses lèvres charnues, un sourire de ciel bleu. 

     Dans cette manifestation du 15 mars il se sentait à l’aise comme poisson dans l’eau.

    L’on aurait dit Gavroche dépassant l’enfance et voulant aller au-delà de l’humain. Il avait dans son cœur, la joie et la passion du vieux militant. Cet enfant semblait ne se sentir jamais si bien que dans la rue ! Il était joyeux parce qu’il se sentait libre.

     Quand son père le traitait de petit sauvage, il riait, mais quand sa mère le traitait de petit sale gosse, il se fâchait quelque peu.

     C’était sa façon à lui de rendre par la tendresse et aussi par la désinvolture, l’attention de tous les instants qu’il recevait de ses parents. Quel que soit son comportement, il voulait en être la fierté de ses parents.

     C’est que Wald savait qu’il avait toujours été le fruit et le trait d’union de l’amour de ses parents, mais il soupçonnait aussi être leur tragédie et la cause de leur destin africain. 

     Peut-être pour toutes ces raisons, Wald était particulièrement content d’être dans le cœur de la manifestation. A le voir ainsi, l'on dirait qu'il attendait cet événement depuis longtemps.

     

    ***

     

     Cette manifestation serait de bon augure pour l'Angola tout entier. Pour ses parents aussi. Ils ne regretteraient pas leur venue en Afrique. Les trois avaient été éloignés par la méchanceté d’une grand-mère oubliée. Mais une force plus forte la douleur de la tragédie le liait comme amarre de navire à son papy David. Wald ne s'en souvenait pas, il ne le connaissait que par le courrier qui arrivait de métropole.

     Une lettre en chaque début de mois. Cela durait depuis ses six ans, depuis son C.P. angolais quand il apprit à lire et à écrire plus vite que la course du vent du plateau de Nova Lisboa. Est-ce qu’un jour, lui Wald, pourrait faire un vrai bisou à son papy. Il ne voulait pas du bisou à la fin de la lettre qui le laissait plein de saudades et même un léger point de côté.

    Son papy, Viendrait-il un jour de cacimbo, le brouillard angolais, le chercher à la sortie de l’école Sa da Bandeira ? 

    De plus ce Portugal d'Europe, pays de mauvais souvenir pour ses parents, dont on évitait de parler à la maison était tellement loin. Ce Portugal, situé plus haut que l’Angola sur la mappe monde de son école, ce n’était qu’un petit rectangle vert que la vaste Espagne en jaune semblait vouloir avaler ! Comment ce Portugal si petit avait-t-il pu échapper à la domination espagnole ? Vraiment, on ne sait pas par quelle magie la belle et forte Espagne n’était pas arrivée à baigner ses pieds à l’ouest de la péninsule Ibérique sur les plages dorées de l'océan Atlantique, se demandait Wald étonné.

     A regarder cette mappe monde, la logique serait de voir un seul pays en cet espace ibérique. Alors, pourquoi cela n’avait pas été ainsi, se demandait Wald intrigué. Puis il rajouta. Ça doit être l’exception qui confirme la règle, comme disait son maître de C.P. 

    En trois mois d'école, Wald avait appris à lire, tellement il avait envie de déchiffrer le courrier de son grand-père et savoir par lui-même qui était ce papy et ce qu’il écrivait vraiment.

     Il aurait vraiment aimé pouvoir dire papy, écouter la résonnance de ce mot dans son cœur, sentir sa main se poser sur sa tête, puis sentir la chaleur de cette même main lui caresser le visage.

     Quel ne serait pas le bonheur de Wald si à son tour, il pouvait toucher la barbe blanche et piquante, comme un hérisson, de son papy.

     Auparavant, avant qu'il ne sache lire, il pensait parfois que papa et maman lui cachaient une partie du contenu des lettres. 

    Certains comportements de ses parents laissaient penser qu'il y avait des secrets, des non-dits en l'air. Mais il ne voulait pas non plus embarrasser ses parents avec ses questions. Il faisait finalement confiance aux décisions, aussi bien de papa que de maman. Il se satisfaisait avec plaisir de toucher des yeux, des mains les lettres que son lointain papy avait touché aussi avec ses yeux et ses mains.

     Il s'imaginait même sentir la chaleur des mains de papy dans ces deux ou trois feuilles d’un méchant papier de couleur jaunâtre presque transparent.

     Wald parfois laissait glisser ses petites mains sur les feuilles de papier, comme aveugle lisant le braille, pour s’imprégner et sentir la proximité de ce grand-père vivant aux six-cents diables.

     Mais maintenant, Wald savait lire et même griffonner des phrases.  Il remarquait que son Papy avait une façon étrange d’écrire le « W » de son prénom dont les pointes semblaient dessiner deux cœurs.  Pour lui, pas de doute, cela voulait dire que son grand père même là-bas, dans ce très lointain Portugal, l’aimait. Lui aussi, il aimait beaucoup, beaucoup son papy.

    Cependant, il avait appris, petit à petit avec les mois et les années, que sa grand-mère ne l'aimait pas. Elle n'écrivait jamais un mot. Ni bon, ni mauvais. Rien ! C'est comme si elle n'existait.

    Ses parents, malgré ses questions insistantes à son sujet, n'étaient pas bavards.

     C’est dans ces moments-là que l'on sentait chez papa monter une colère refoulée qui lui colorait le visage. Maman très vite coupait court, arguant que c’étaient des histoires du passé sans importance. Pourquoi s’intéresser à des choses, des personnes laides quand il y a tant de beauté en Angola pour découvrir ?

    -              Sans chercher querelle, mieux vaut s’éloigner des personnes qui ne valent pas la peine de notre attention Wald ! Dit Virginia avec un léger nœud dans la gorge.

     

    Wald remarqua que son père ne prononçait jamais le nom de ladite grand-mère. Pour l'évoquer il utilisait un mot qui marquait bien la distance, la fracture.

     Ce mot froid était « l'autre ». Un mot qui traduisait l’éloignement de la blessure que papa s’efforçait d'ignorer. Mais Wald voyait bien dans les yeux humides de maman que la blessure ne cicatrisait pas.

    Cela était dur. Parfois même Wald faisait des cauchemars. Comment cela était-il possible ? N’étaient-ils tous du même sang ?

    Cependant un jour il découvrit toute la vérité ou presque.

     Ladite grand-mère était la cause de leur expulsion vers l’Afrique !

    Ce jour-là, il sentit sa joie habituelle se transformer dans un courroux qui explosa dans des gros mots à l'égard de la méchante sorcière de sa grand-mère.

        -        Papa ! « L'autre » la sorcière, si je la rencontre je la tuerai et ensuite je l’enverrai rôtir en enfer !

        -        Laisse tomber petit Wald. Ce n'est pas la peine de se mettre en colère.

    De plus Wald à quoi ça te servirait de la tuer et de l’envoyer en enfer ?

    -             Quelle question papa ! Mais pour me venger, pour lui faire payer le mal qu’elle t’a fait à toi à maman et à moi aussi !

    -             Wald, je comprends que tu te sentes révolté contre sa méchanceté. Moi aussi je suis indigné comme ta maman, ton papy et la majorité des gens du village où tu es né. Mais une chose est la condamner et une autre lui faire payer œil, pour œil et dent pour dent sont acte ignoble ! Dans ce cas tu commets le même acte ignoble que celui que tu accuses. Tu deviens autant criminel que celui qui a commis le premier crime. Tu deviens aussi méchant que l’autre. A la fin au lieu d’avoir un criminel nous en avons deux.

    -             Mais oui papa ! C’est naturel ! C’est normal de se venger. C’est naturel de tuer celui qui a tué !

    -             Non Wald ! Même si je comprends tes arguments.

    -             Pourquoi donc papa ?  Je ne te comprends pas ! Ce n‘est pas juste ?

    -             La justice que tu voulais appliquer et qui te semble juste est ce que l’on appelle généralement la loi du Talion.  C’est une forme de justice qui fut largement appliquée au cours des siècles et continue d’être appliquée dans certaines régions dans le monde gouvernées par des gouvernements autoritaristes, extrémistes qui donnent vie à des sociétés inhumaines, violentes où le crime, le meurtre devient de la morale. Et même à force de d’appliquer, pendant des années, voir des siècles cette violence par la violence celle-ci devient une incroyable morale de la tradition.

    -             Je ne te comprends toujours pas papa !

    -             Oui Wald. Le sujet est compliqué et la réponse ne peut pas être simple. Mais écoute-moi encore, tu veux ?

    -             Bien sûr que je veux, car je veux savoir, je veux comprendre ! Papa, je ne veux pas rester un sauvage comme les tigres et les lions de la forêt.

    -             En effet Wald, un homme, une femme doit s’élever au-dessus de l’animal et devenir un être humain qui se comporte, non pas selon l’instinct vengeur de l’animal sauvage, mais avec la raison, la sagesse et des sentiments d’un être humain.

    -             Donc d’après toi papa, on ne fait rien devant la méchanceté, la cruauté, l’injustice ?

    -             Non ! Pas du tout Wald ! Encore une fois, tout le contraire !

    -             Alors explique-toi !

    -             Oui j’y viens Wald, mais je ne peux pas courir deux lièvres à la fois.

    -             Ah ! Ah !  Si tu le pouvais ! Pauvres lapins et pauvres lièvres ! Toujours les herbivores s’échappant des carnivores, comme les plus faibles fuyant devant les plus forts ! En tout cas moi je refuse de manger du lièvre et encore moins du lapin !

    -             Tu exagères Wald ! Mais c’est toi mon petit lapin ! Oui Wald, je voulais dire simplement que nous ne pouvons et ne devons pas appliquer nous-même la justice, notre justice car dans ce cas, elle serait gérée par la vengeance et ne serait donc pas tout à fait juste. Même si la justice ne peut jamais être juste. En effet, on ne peut jamais redonner la vie à celui qui l’a perdu malheureusement. Donc Wald, je te disais que pour appliquer la justice il y a des gens compétents, les juges et des instruments pour l’appliquer, les tribunaux. Car juges et tribunaux qui doivent être neutres sont censés être animés par la sagesse et l’acuité et guidés par le serment de la robe d’avocat.

    -             Oh quelle tolérance envers les criminels, les assassins et les méchants sans fin de ce monde ! Bravo papa, pour ton raisonnement de poule mouillée et de justice laxiste ! Bravo ! Bravo papa ! Je te croyais plus courageux, avec plus de tripe, plus de … et finalement tu me fais un prêche de faiblesse, de soumission, de paroles douces où tu dis amen à tout ! C’est ainsi que ce monde va à sa perte !

    -             C’est toi Wald qui harangues cela ?

    -             Les paroles son de Dulce la femme de tonton Armando !

    -             Ah je vois !

    -             Mais elle a raison. C’est incroyable. Papa, comment peux-tu rester là, écrasé comme une nouille devant l’autre sorcière. Oui Papa je te le dis, moi je la tuerai et ensuite j’enverrai la sorcière du Portugal rôtir en enfer ! Et si le diable n’est pas capable de la rôtir vite fait et bien fait j’irai la rôtir moi-même oui lui tordre le cou pour la zigouiller au plus vite ! Papa as-tu oublié qu’elle est le serpent, l’incarnation du mal, le reniement de mon existence, la négation de ton mariage avec maman, la coupable de notre expulsion ignoble de ma terre natale ! Papa, comment est-il possible que tu jettes aux orties toutes ces valeurs fondamentales de la vie et de l’être humain. Elle a tout rejeté et a prouvé par son attitude et comportement qu’elle est une sorcière inhumaine. Inhumaine papa ! Papa, son acte ne peut pas être jugé justement par des juges, des tribunaux qui sont humains. Papa, je suis la victime, je suis le méprisé, je suis celui à qui la sorcière a volé la justice et tout ce que je n’ai pas et pourtant méritais comme un enfant, comme un fils, comme un membre de la famille !  Rien de tout cela. Au contraire, je fus jeté de la famille, du village où je suis né, du Portugal comme une chose encombrante dont on se débarrasse et que l’on balance dans la déchetterie. Oui papa, moi j’aurai le courage de de la tuer et après l’envoyer rôtir en enfer non pas pour quelques années, mais pour l’éternité. Ainsi elle ne fera plus de mal à mon papy ni à mes parents ! Tu entends ! 

    -             Bien sûr que je t’entends mon petit ! Bien sûr que je te comprends mon enfant !  Comment moi, ton père ne pourrais-je comprendre ta colère ! Comment ne pas comprendre la grande douleur de ton cœur qui saigne à flots ! Toute ta colère et douleur Wald, depuis le premier et fatidique jour, je la renferme à clé à double tour aussi en moi, de peur que mon âme ne s’enflamme et ne prenne la fourche acerbe de la vengeance. Au début cela m’empêchait de dormir normalement. Tant de nuits j’ai été envahi par des sueurs nocturnes. Tellement de fois pendant mes cauchemars répétitifs je me voyais dans la vengeance, même dans l’acte de tuer. Combien de fois ne me suis-je vas résolu à tuer, tuer ma mère ! Ma vie Wald a été un enfer pendant des années. Puis j’ai retrouvé mon ami Armando, j’ai découvert notre Angola avec ses fleurs, ses couleurs, son soleil son ciel bleu et aussi ses nuages parfois bien noirs. Ma vie avec ta maman et nos amis nous a levé comme les eaux d’un fleuve vers d’autres bassins, mers et rivages. Wald le temps fini par cicatriser en superficie les blessures même si les marques restent sur la peau et la douleur dans la chaire. Je me suis donné une nouvelle issue à la vie

    -             Ah ! S’exclame Wald quelque peu surpris par un ton de voix plus calme provenant d’un intérieur tranquille enveloppant une baudruche de douleur profonde.

    -             Oui Wald je t’ai bien entendu, je comprends ta révolte et colère, mais mon cœur, mon âme, mon corps ne peut, ne doit pas t’approuver ! Non Wald. Le courage, la valeur humaine ne peut pas consister à se comporter comme les traitres, les assassins. Non la réponse à la méchanceté ne peut pas, ne dois pas être la même vengeance. Non Wald la valeur humaine, l’avenir d’une société, le futur de l’humanité ne peut pas être la loi du talion, œil pour œil, dent pour dent. Cela est trop facile, le plus difficile, le vrai courage Wald consiste à démontrer à l’assassin, au criminel ou au méchant que nous ne le sommes pas comme lui. Nous devons lui montrer que nous ne tombons pas aussi bas que lui, que nous restons humains, respectueux des êtres humains. Claudio fait une pause, tout en lisant dans les yeux doux, le regard ébahi de Wald.

    -             Mais en guise de conclusion sur ce sujet Wald, je ne voudrais pas que tu penses que la justice ne doit pas être faite. Si ! Si ! Le criminel doit être puni, doit être jugé et condamné avec sévérité et une certaine condescendance !

    -             Pourquoi condescendance papa ?

    -             C’est que Wald, je pense que certains humains disjonctent tout le temps. Ils sont malades dirions-nous pour simplifier. Ils ont besoin d’être suivis, accompagnés médicalement pour faire en sorte que le pire ne n’arrive pas.  De plus certains êtres humains deviennent fragiles, voir malades à la suite de blessures de la vie et peuvent commettre des actes terrifiants dans ces moments-là.  Un être normal, ne peut pas commettre un tel crime.

    -             Ah ! Explique ! Donne-moi des exemples papa ? Ainsi je comprends mieux tes propos.

    -             Mais regarde combien de meurtres ne sont commis par suite de divorces, de partages d’héritage, car ce sont des moments de déséquilibre, de douleur de blessure de la personne.

    -             Tu crois papa ?

    -             Cela arrive souvent, les faits divers sont remplis de cela. En outre lorsque des êtres humains sont maltraités, par de grandes injustices comme la xénophobie, racisme ou autre mépris ces individus dans un moment de fragilité psychologique peuvent perdre la raison et devenir des tueurs, des terroristes.

    -             Cela existe papa ?  Ah ! En effet à la radio nationale ils parlent souvent des terroristes noirs angolais.

    -             Mais bien sûr l’histoire des nations en est remplie. Remplie non, car souvent les historiens n’en parlent pas, mais les cas sont nombreux. Regarde par exemple dans notre histoire de l’Angola actuel. Encore la semaine passée un Angolais noir a tué un blanc parce que celui-ci le traitait comme un animal. Dans ce pays on a l’habitude de recourir au fouet pour frapper les noirs dans les plantations de café, de bananes ou canne à sucre comme s’ils étaient des animaux.  Bien sûr cet homme n’aurait pas dû tuer le blanc.

    -             Mais il a tué.

    -             Oui Wald parce le mal, la douleur, la blessure, le mépris finissent par transformer la personne normale en animal anormal. Oui mon Wald, encore aujourd’hui au XXème siècle, l’être humain n’est pas très humain. Oui mon Wald il reste à cette humanité beaucoup de chemin à parcourir encore. Notre devoir à tous est que l’Homme soit, devienne, se comporte comme un vrai être humain et pour le bien de tous. Il faut le croire et l’espérer !

    -             Il me semble que je suis d’accord avec mon papa ! Mais approche que je te fasse un bisou pour que cela se voit et se sache !

    -             Oui je t’aime beaucoup aussi mon fiston !

    -             Mais je le sais papa ! Cela étant ça fait aussi plaisir à entendre !

    -             Bien évidemment ! Et je te dirais aussi qu’il faut croire dans l’être humain.  Peut-être même qu’il ne faut pas condamner à perpétuité. En effet, il faut espérer que dans chaque crapule puisse briller un jour la lumière qui éclairera mieux l’Humanité. Claudio fait une pause, puis réflexion faite attire l’attention de Wald.

    -              Mais certains humains commencent bien et terminent mal

    -             Comment cela papa ?

    -             Ecoute Wald, combien de gens sont bien nées, ont été de bons enfants, de personnes normales et ensuite sont tombées dans l’abime ?

    -             A qui penses-tu papa ?

    -             Ecoute Wald je pense à plein d’horribles individus comme Hitler, Mussolini, Staline et notre Satan Lazar. Qui aurait imaginé que l’enfant qu’il fut serait devenu le dictateur criminel de tant de portugais, angolais mozambicains, guinéens etc.

    -             Oui papa, en effet !

    -             Tu sais Wald il faut croire, faire confiance à l’être humain, mais cette confiance doit être vigilante, anticipative et surtout ne pas devenir aveugle. Pour qu’une société aille de l’avant dans le bien elle doit être le plus consciente et prévoyante des dangers le plus possible.

    -             Et avec l’autre la sorcière ?

    -             L’autre comme tu dis Wald, je m’efforce de croire qu’elle est encore ma mère, même si elle fut une mauvaise mère ! J’essaie de calmer les vents de la colère, de l’indignation qui soufflent dans mon être tout entier. J’essaie de lui trouver des excuses qui me permettent de penser qu’un jour il y aura en elle une lueur de repentance, car elle est dans l’obscurité, non seulement des sentiments maternels, mais aussi dans une vie aveuglement faite d’une grande ignorance.  Elle ne sait ni lire, ni écrire comme tant de gens dans ce pays de Satan Lazar. Elle n’a pas non plus appris à aimer. Tu sais mon petit Wald, l’amour et le respect de l’autre, l’amour et le respect de la société, l’amour et le respect de tous ceux, proches ou distants, égaux ou différents, qui t’entourent à l’école, au village, à la ville, au travail cela s’apprend à la maison avec des bons parents, dans les écoles, les lycées, dans les universités avec des professeurs aux valeurs humanistes et démocratiques. Mais quel est le pourcentage de parents, de grands-parents qui ont fréquenté l’école, le lycée, l’université dans ce pays de Satan Lazar ? Mon Wald je crois qu’une personne sans éducation en général, est plus proche de l’animal sauvage que de l’être humain guidé par des valeurs humanistes

                    Mais Papa c’est quoi ça, des valeurs démocratiques, humanistes ? Je n’ai jamais entendu parler de ces choses-là, ni à l’école, ni dans la rue, ni nulle part d’ailleurs ! Tu me parles trop souvent comme si j’étais un adulte ! Peux-tu …

                    Ce ne sont surtout pas les valeurs de ta grand-mère, mais celles des gens comme ton papy ! Puis Claudio ne trouvant pas de mots précis et exacts pour se faire comprendre de son jeune fils essaie d’adapter le juste langage. 

                    La démocratie, l’humanisme c’est tonton Armando !  Regarde comme s’il se comporte avec les autres. Il écoute avec attention, puis il répond avec mesure et sagesse. Est-ce que tu as remarqué comme il répond aux arguments extrémistes, aux paroles agressives et méchantes de sa femme Dulce ?

                    Oh oui ! Elle crie tellement fort que même les sourds l’entendent ! Parfois la gentillesse d’Armando à son égard me fait pitié.  Si c’était moi je ne me laisserai pas faire. Mais, mais regarde-moi dans les yeux papa !

                    Oui je te regarde mon petit lapin !

                    Il n’y a pas de petit lapin

                    Ah ! Quelle mouche t’a piqué Wald !

                    Mais tu me prends par un simplet d’esprit ou quoi ?

                    Non pas du tout ! Mais qu’est-ce qui se passe Wald ?

                    Mais tu me dis que tonton Armando c’est la démocratie ! Tu te fiches de moi une fois de plus !

                    Ecoute Wald parfois tu me prends par un dieu omnipotent, un dieu qui sait tout. Un père parfait qui doit avoir réponse à tout. Mais la réalité est tout autre. Je ne suis qu’un homme qui essaie d’être le père le plus parfait possible ! Je ne suis pas toujours le modèle que tu exiges de moi ! Je ne suis…

                    Papa arrête ton cinéma de mea culpa ! C’est quoi la démocratie ? Ne diverge pas ! Réponds à ma question pour une fois !

                    J’y vais ! J’y vais du mieux que je peux ! Quelle exigence ! A Monsieur il lui faut tout et tout de suite !

                    Ne tergiverse pas s’il te plait papa ! C’est important pour moi papa !

                    Pas uniquement pour toi Wald mais pour tout le monde sur cette terre ! Ecoute Wald le sujet est vaste, mais je vais essayer de te satisfaire ta curiosité –       Ce n’est pas de la curiosité, mais un besoin papa ! Un besoin pour l’école !

                    Explique-toi Wald !

                    Eh bien notre nouveau maître d’école prétend dur comme fer que la dictature est la gouvernance de la vie de patriotes, de nationalistes faites d’hommes de caractère, d’hommes héroïques, d’hommes d’un idéal d’acier pour qui la mort vaut plus que la vie. Oui papa, des hommes exceptionnels au-dessus de tous les autres comme notre Président de la République !

                    Tout de suite des grands mots ! Le culte du super chef ! Le culte du super homme exceptionnel ! Le culte de merdeux qui se prennent pour des dieux ! Papa s’efforce d’afficher une mer calme piquée dans ses profondeurs. A mon tour je le regarde dans les yeux et lui dit

                    Mais papa je ne lis pas uniquement au pied de la lettre, mais aussi entre les lignes !

                    Cela vaut mieux Wald. Mais plusieurs choses à dire à toute cette parodie et contrefaçon des valeurs humaines de la vie. Premièrement est l’élément le plus important de la vie. Vivre, vivre la vie Humainement le mieux possible en en se respectant soi-même et en respectant d’une façon Humaniste l’autre. Il vaut mieux un homme vivant qu’un homme mort. Même si un jour le maillon de la chaine   de la vie est suivi par la mort, mais une mort qui donne ou a donné la vie !

                    Oui papa, pourtant si je pouvais tuer la sorcière et l’envoyer rôtir en enfer…

                    Oui Wald je te l’ai déjà dit, l’homme, l’homme Humaniste doit s’élever au-dessus des passions et surtout de la haine et de la vengeance. Cela est un signe de modernité et un niveau élevé de civilisation.

                    Mais cette histoire de patriotisme, de nationalisme, d’héroïsme, d’hommes exceptionnels, d’hommes supérieurs même plus que des dieux ?

                     

                    p comme d  forts  des hommes qui ont un idéal, force de caractére des hommes , , des hommes vrais. D’ailleurs je ne sais même pas que ce c’est qu’un homme vrai. Pour moi un homme c’est un homme et c’est tout !

                     avec c

                    Oui ! Mon va-t’en guerre ! Mais ce n’est pas par gentillesse qu’il se comporte ainsi avec sa femme, mais grâce à ses valeurs humaines et humanistes. Ecoute-le et tu apprendras davantage !

                    Bien sûr que je l’écoute mon tonton !

                    Mais c’est quoi cette histoire de tonton, Wald ?

                    Ecoute je te donne une réponse de Cabindais comme tu fais avec moi pour dire ni oui, ni non ! Cà reste entre lui et moi.  Il est d’accord et moi aussi. A lui ça lui fait plaisir et moi j’en suis ravis.

                    Ah ! Rien que ça ?

                    Oui rien que ça ! Mais ne t’inquiète pas mon petit papa !

                    Il ne manquait plus que ça, espèce de fils ingrat ! Protestait Claudio avec un sourire d’étonnement.

                    En tout cas ton Oncle sait parler et se comporter dignement avec les gens !

                    Tu crois que je n’ai pas remarqué comme il est admiré de tous ses employés. Monsieur Armando puis-je faire ceci, puis-je emprunter cela. Monsieur Armando est-ce que je peux m’absenter demain… ?

                    Papa, c’est qu’il n’a pas besoin de crier contre ses contremaitres. Il n’a pas besoin de frapper ses ouvriers. Chez lui, ni armes, ni fouet ! Tout cela je le vois quand je vais avec lui à cheval dans les plantations. Puis Wald se donne presque au plaisir de parler.

                    Tu sais papa, sa réponse est toujours, Mais João, Pedro, Samuel ou Daniel… tu sais quels sont tes droits et tes devoirs ! Alors fais selon ces principes !

                    Je comprends Wald ! J’ai aussi beaucoup d’estime pour lui. Si tu veux savoir et comme un bien n’arrive jamais seul, je voudrais te dire que je le considère comme un frère. Par conséquent il est naturel et impératif que tu le traites de tonton !

                    Oh ! tu es le meilleur des papas de l’Angola ! Vive mon papa ! Vive l’Angola !

                    Oh Wald ne crie pas si fort ! Fais attention à ce que tu dis ! Tu peux finir en prison !

                    Mais qu’est-ce que j’ai dit de mal papa !

                    Rien !  Mais pour Satan ici c’est le Portugal et surtout pas l’Angola !

                     Il est fou ton Satan Papa ou quoi !

                    Attention très attention Wald le diable rode partout !

                    Mais papa sur la carte de l’école c’est marqué en grosses lettres noires Angola. En revanche sur une autre carte à gauche du mur central il y a une autre carte plus petite du Portugal qui se trouve en Europe tout petit encerclé par l’Espagne.  L’Angola, notre Angola se trouve en Afrique occidentale, un peu en-dessous de l’équateur. Nous sommes dans l’hémisphère sud. Sa capitale est Luanda, 1200 Km2 !

                    Oui ! Oui Wald ! Je sais ! Je sais !

                    Mais si tu sais, alors pourquoi tu me racontes des balivernes faites de fake news !

                    Mais ce n’est pas moi Wald, mais la propagande de notre Satan. Il faut faire attention à certaines choses, car si elles sont entendues nous risquons gros. Ici on ne doit pas dire ce que l’on pense, mais se taire ou alors parler en conformité avec le Satan de Lisbonne, sinon...

                    Papa, je crois que celui-là je vais vraiment le faire rôtir en enfer quand je serai grand, retorque Wald mi sérieux.

                    Oui ! Oui ! Mais dépêche-toi de grandir alors Wald. Après une courte pause Claudio voulut apporter une conclusion à la discussion.

                    Oui ! Ton tonton Armando est une bonne personne, mais notre Satan est tout le contraire de la démocratie et de l’humanisme et pour revenir à l’autre sorcière elle ne sait qu’haïr, mépriser, faire du mal autour d’elle !  Mais le Satan est mille fois pire que ta grand-mère.

                    Pourquoi papa ?

                    Mais parce ce que ta grand-mère t’a fait à toi, à moi, à ta maman, Satan Lazar l’a fait à des millions de portugais !

                    Autant que ça papa ?

                    Oui Wald ! Mais tu apprendras mieux tout cela quand tu seras plus grand ! Puis regardant sa montre il indique qu’il est temps de clore le sujet.

                     Pour le moment contente-toi d’écouter ce qui te dit de bien le cœur et de l’appliquer autour de toi !

                    Mais papa tu me parles en kimbundu ou en portugais !

                    Mais c’est quoi le bien ?

                    Le bien ? Le bien ? Mais Wald, je suis un peu fatigué, tu sais !  Ecoute il y a une expression chez nous ?

                    Mais c’est où chez-nous papa ?

                    Quand tu t’y mets Wald, tu es comme une dance dans le Minho qui tourne toujours en rond sans jamais s’arrêter ! Claudio après une courte pause se met à chantonner tout en tapotant sur la table en bois d’ébène de la pointe de ses doigts pour créer un rythme de tambourin africain.

     

    Anda roda ! Anda a roda sem parar

    Quem quizer entrar na roda

    Tem que saber, bem dançar

    Anda roda, anda a roda, sem parar

     

    Après le chant de la chansonnette, Claudio regarde son Wald avec tendresse et un air désolé de fatigue.

    -          Mon petit Wald c’est que ton papa est en manque d’énergie. Demain les forces reviendront. Quant à l’autre, mieux l’envoyer paître dans les prairies lointaines du Portugal.  Mais Wald ne l’entendait pas ainsi. Il se jura à lui-même qu’un jour, il dirait à cette vieille garce illettrée ses quatre vérités.

    -             Ce que les ignorants peuvent être farcis d’une morale douteuse et d’une méchanceté ignoble. Dit Wald dans un souffle de dépit.

    -             Ces mots ne sont pas de toi mon Wald, lui dit son père plein d’admiration. Mais qui t’a appris cela ?

    -             Mais mon papy du Portugal ! Qui voudrais-tu que ça soit ! Rétorqua Wald avec un rire malin. Je l'ai lu dans une lettre de papy. Mais tu ignores encore que maintenant je sais lire ?

    -             Mais non ! Je sais que tu es un rossignol en lecture et un merle en écriture ! Félicitations mon petit lapin ! Tu vois c'est important de lire, de savoir ! Dit Claudio d’une voix chaleureuse et en prenant avec tendresse son fils dans les bras.

    -             Papa, j’aimerais tant faire un bisou à mon papy.

    -             Un jour cela viendra ! Et moi ? Rien ?

    -             Ô papa, mais moi je t’adore toi et maman ! Ça ne se voit pas ?

    -             Mais si ! Mais si ! C’est important de le montrer, mon Wald !

    Même si dans ce pays n’est pas de bonne morale de le montrer !

    -             Ah Papa ! Je voulais t’en parler. Nous avons changé de professeur de Religion et Morale. Tu le savais ?

    -             Non ! Avec la collecte du coton dans la plantation de notre ami Armando le soir je suis complétement épuisé. Même pas le courage de parler !

    -             Je sais ! Mais j’en ai parlé avec maman !

    -             Et alors !

    -             Alors quoi ?

    -             Le professeur. Qui ‘est-ce !

    -             Oh ! Un très vieux monsieur ! Un curé ! Il a déjà commencé à balayer la morale de papy !

    -              Ah !  Ça ne va pas être drôle alors ! Mais fais attention Wald. Ne sois pas trop impulsif !

    -             Impulsif moi ?

    -             Tu sais dans ton cours de Religion et Morale, comme dit ton papy « é preciso saber separar o joio do trigo », c’est-à-dire, séparer le blé de l’ivraie. Mais je tombe de sommeil Wald !

    -             D’accord papa ! Allez va faire ton dodo ! Veux-tu que je te raconte une histoire d’adulte pour t’endormir ! dit Wald taquinant malicieusement son papa.

    -             Merci ! Bonne nuit ! Je n’en peux plus. Eh ! Eh ! Je m’en vais de ce pas rejoindre la vallée blanche de mes draps ! Bonne nuit Wald et à demain si dieu le veut !

    -             Et si dieu ne le veut pas !

    -             Mais arrête Wald ! Ce que tu peux être provocateur ! Fais la guerre tout seul, mais moi je me laisse vaincre par Morphème !

    -             Moi pas et je vais me battre toute la nuit contre lui !

    -             Va plutôt faire un câlin à Maman.

    -             Oui ! Oui ! J’y vais et après envoyer une pensée à mon papy !

    -             Allez ! Va ! Le petit angolais de son papy !

     

     

    * * *

    Tout le portrait de ton père

    - Décidément ce garçon ne ressemble en rien à un autre, dit Claudio à voix basse à sa femme Virginia.

    -             C’est qu’il est deux fois le fils de ton père ! Tu sais qu’il me manque le vieux. Depuis que nous sommes là, dans cette manif, par moment les larmes me viennent. Je les cache, mais je ne comprends pas, dit Virginia en se séchant les yeux avec tristesse.   

    -             C’est vrai que mon père me manque aussi. C’est étonnant, mais par moments, en regardant Wald, je crois revoir mon père.

    -             Virginia, regarde aujourd'hui, sa vivacité est vraiment incroyable. Il a en lui, une gaîté toute particulière. Depuis presque deux jours il n’a pas fermé l’œil. Pourtant il est frais comme un gardon. Est-ce que tu lui as servi un steak de lion ? 

    -             Ne dis pas d’idioties mon chéri ! Nous sommes là depuis presque deux jours à manger que des sandwichs au jambon fromage. 

    -             Il me semble que depuis hier soir il a un comportement déconcertant. L’on dirait qu’il augure quelque chose de nouveau, de spécial. Cela me travaille Virginia, ma petite femme.

    Virginia ne l’écoutait plus. Une femme métisse particulièrement mince l’attirait à elle et lui parlait en secret à l’oreille. Que pouvait bien se dire les deux femmes, se demandait en silence Claudio.  L'agitation de Wald, serait-elle due à un mauvais présage. Et si les choses tournaient au vinaigre et que tout se terminait dans un bain de sang ? 

    Depuis quelques mois, il entendait parler des combats pour l’indépendance au Congo belge. Les luttes partisanes entraînaient des vagues d’emprisonnements, des meurtres dans la population et d’assassinats parmi les hommes politiques. La mort de Patrice Lumumba, au mois de janvier dernier, semblait même mettre le feu aux poudres dans le pays voisin et même dans toute l’Afrique australe.

     Selon les commentaires de certains « métros », se trouvant le dimanche après-midi dans un bar où, ils buvaient une bière fraîche, tout en suivant la radiodiffusion des matchs du championnat de football, l’on affirmait avec crainte que tôt au tard l’air de la révolte pour l’indépendance allait s’étendre en Angola et même à toute l’Afrique lusophone.

     Mais pourquoi toutes ces idées lui revenaient en mémoire, maintenant, là, en pleine manifestation, alors qu'il marchait vers le stade de football ? Cette foule l’encerclait et semblait l’étouffer. Une abondante sueur d’angoisse ruisselait sur son visage. Pourtant, il ne regrettait pas d’être là.  Il voulait le bien de ce pays, de ces gens. Mais pourquoi avait-il entraîné sa femme et son fils dans ce guêpier humain ? 

    Néanmoins, en regardant la joie de ces enfants, de ces femmes, de ces hommes, il ressentait la fraîcheur, le bien être qui lui rappelaient les bières  Sagres, Cuca, celles qui éteignaient le feu de la soif tropicale dans son gosier, lorsqu'il les dégustait en compagnie de ses amis  dans la taverne du métis Maneca de Nova Lisboa. Un sourire de fête nationale se dessina sur ses lèvres. 

    Est-ce qu’il était là, avec ces 250 ou 300 personnes, en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’Angola ?

    Mais son diablotin de gamin ne tenait pas en place. Pourtant il lui demandait de se calmer, de faire attention. Wald n’écoutait pas davantage sa mère.

    -             Virginia, fais attention au petit Wald qu’il ne lui arrive pas quelque mauvais coup, demandait Claudio toujours inquiet, quand il regardait son enfant.

    Tout au contraire, Wald semblait insouciant à tout danger. Il criait, chantait, dansait avec les autres enfants noirs, content et gai comme un geai. Intrépide, il courait de l’arrière à l’avant de la manifestation, comme un lévrier fou. Le bras levé au ciel, il arborait une haute canne de bambou, sur laquelle flottait une sorte de drapeau, rouge et noir, qui semblait avoir été confectionné par une jeune-femme nommée Dilma.

     Elle habitait dans le Musseque Lixeira et l’on murmurait en cachette qu’elle détestait les soldats portugais. Ledit drapeau aurait été fait de morceaux de tissus déchirés de la soutane noire et de la chemise blanche ensanglantée de rouge, d’un homme de l’église, un mystérieux chanoine, Manuel Mendes. Ces faits seraient chantés le jour de marché dans les villages, par des chansonniers confondant le songe et la réalité.   

    Claudio se rendait compte que la manifestation prenait des allures de de Capharnaüm Il s’inquiétait de la suite des événements. L’air grave, il monta sur une fourmilière qu’il crût être un monticule de terre et tout en s’écroulant provoqua les rires autour de lui, il cria : 

    -             Mais ne sortez pas vos langues de la bouche, sinon on va se faire repérer par la police. Puis agacé par les rires ou par son inquiétude. 

    -             Mais allez-vous clouer le bec, bande d’étourneaux !

    -             Aujourd’hui, c’est toi « branquinho »  qui va fermer le bec une fois pour toutes. Tu vas nous laisser parler, dit le vieux Dunga dans un éclat de rire amical, tout en lui tapant sur les épaules. Puis il rajouta. 

    -             Nous sommes heureux que, vous les visages de craie, soyez là avec nous. Regarde nos femmes là-bas. Elles sont en train de faire des banderoles avec la soutane noire et la chemise blanche  du curé.

    -             Mais cette histoire du curé est-elle vrai, demande Claudio dubitatif.

    -             Bien sûr, répond Dunga ne laissant pas l’ombre d’un doute. De plus c’est un prêtre blanc qui est avec nous. C’est plutôt rare ! Non ?

     

    * Branquinho - diminutif de branco - petit blanc

     

    * * *

     

    Il était 5 h du matin. La lune angolaise avait un cœur doux, comme celui du clair de lune d'été au Portugal. Mais elle venait à l’instant même d’être détrônée sans égard et avec grossièreté par « Africus » un vent sans cœur turbulent et méchant qui traverse l'Afrique et rugit nuit et jour dans des cavernes lointaines blotties sous la grande masse du Kilimandjaro. Juste un instant d'inattention de la part d’Éole et voilà qu’Africus déchaîna sa furie sur le ciel angolais. Il balaya d’une rafale la Lune, la mère adoptive de Wald, le laissant sans protection ! 

    Etait-ce cela le signe d’un mauvais présage ? Se demanda aussitôt le lecteur, compagnon de route de l’auteur. Puis, nuançant ses craintes. Wald n'avait-il pas été cet enfant, victime de l’exil vers l’Afrique dix ans plus tôt, comme ce pauvre Jésus l’avait été avec sa famille lorsqu'ils durent s'enfuir vers l’Egypte. L’un chassé par la dictature de Satan Lazar et l’autre par l’épée d’Hérode. Ce n’était pas déjà assez ? 

    Depuis presque une heure, il pleuvait averses. Des rafales de vent, très violent, cassaient les feuilles délicates des bananiers et secouaient sans ménagement les cocotiers aux feuilles de dentelle. Quelques chiens trempés jusqu’aux os, la queue entre les pattes, aboyaient  comme des loups, vers le ciel réclamant que la pluie cesse. Les vêtements de tout ce monde étaient imbibés d’eau, comme le serait la serpillière d'une femme de ménage noire, lavant le sol du maître blanc. 

    Mais ni à Luanda ni ailleurs, le mauvais temps, quel qu’il soit ne pouvait durer éternellement. Claudio essayait donc d’être optimiste. Il tentait d’apaiser certains de ses amis, de plus en plus inquiets, sur l’issue de la manifestation. 

    Après la pluie arrivera forcément le ciel bleu et le soleil, plaisantai-il.

     

    ***

    Monsieur Pierre

    Mais Monsieur Pierre ne voyait pas la situation météorologique, ni avec la même poésie, ni la même philosophie. Bien que la nuit soit encore obscure, Monsieur Pierre avec son accent français du Congo Belge voisin, commença à se montrer au grand jour. 

    -  Nous sommes en chemin depuis deux jours. Cela fait déjà trois nuits que nous avons quitté nos villages. Chaque jour de nouvelles personnes adhèrent à cette manifestation. Nous voici enfin arrivés dans ce terrain de la Lixeira. C’est l’entrée sud de Luanda. Depuis tous ces jours, nous marchons la tête basse, comme des rats d'égouts à ciel ouvert. Depuis des siècles nous avons été les esclaves de ces Tugas, de ces sales visages de craie blanche. Ce sont des colons qui sentent mauvais, qui ont une odeur  rance, qui nous regardent de haut en bas et nous méprisent depuis toujours ! Je vous le dis, ce temps-là est fini.

     Après une pause Monsieur Pierre continue dans un calme qui n’est qu’apparent.

    - A partir d’aujourd’hui, nous allons marcher la tête haute. Nous allons nous comporter en vrais guerriers angolais, armés de coupe-coupe, et de pistoles, nous allons libérer nos frères emprisonnés dans la prison coloniale des Tugas. Oui, celle-là même qu’ils nomment São Paulo. 

    - Il nous faut aussi plus de vraies armes à feu, de munitions pour lutter et arracher l’indépendance de notre Angola dit, d’un ton sec et autoritaire, un petit homme nommé Domingos. A moitié habillé en militaire, il se balançait sur la pointe de ses bottes pour se faire plus grand qu’il n’était. Il empestait l’eau de vie comme une barrique. 

    - Peut-être ! Dit un métis d'une cinquantaine d'années nommé Gilberto. Puis s’approchant du centre du débat avec une attitude de vieux sage et une voix calme et sûre il ajouta :

    - Avant toute chose, il faut commencer par améliorer la situation actuelle. Il nous faut aussi davantage d’organisation dans notre mouvement qui n’est qu’à son début. Dans l’immédiat, il nous faut avant tout, de meilleures conditions de vie pour tous, sans distinction de couleur.

    - Que fais-tu là bâtard à nous haranguer avec des promesses sans lendemain. Le changement est pour maintenant. Le changement commence par la guerre contre les blancs, on doit les expulser de ce pays et donner la mort à tous ceux qui osent y rester. L’Afrique aux africains ! Serais-tu une taupe au profit des blancs et un traître à ta patrie ? Bâtard ! Mais, tu ne sais même pas ta couleur ! Cria avec une agressivité excessive un petit homme au visage particulièrement ingrat nommé Makongo. Il était mi sérieux et mi en transe. Serait-ce à cause de sa laideur ou de sa petitesse, il prétendait avoir des  dons de sorcier. 

    Gilberto malgré l'agression verbale de Makombo, qui lui sembla être sous l'empire de l'alcool, lui répondit d'un calme olympien :

    - Comment serai-je un traître ! Je ne veux que le bien, pour tous les citoyens de mon pays. Ce pays a besoin de tous ses enfants. Nous devons tenir compte que nous avons eu et avons encore une histoire commune. Mais, je reconnais que cette histoire a eu des moments négatifs, mais aussi beaucoup de positifs. Rien n’est totalement parfait ! A nous de réformer et d’améliorer dès à présent cette situation qui certes est insatisfaisante. En outre, je tiens à te dire camarade que je suis métis et fier de l’être. Ça il faut que tu l'acceptes. Notre Angola est une nation cosmopolite. Cosmopolite vous m’entendez.

     Après les paroles de bon sens de Gilberto, le métis, les blancs de la manifestation pensaient que la sagesse et la bonne entente entre blancs et noirs l’avait emporté contre l'extrémisme.

     Armando se sentait plus rassuré et en sécurité aussi. Il avait l’impression que le nœud qui lui serrait la gorge venait d’être dénoué. Il lui semblait même que maintenant, il respirait mieux, malgré la chaleur humide qui montait de la terre et des corps mouillés des manifestants qui se serraient contre lui. 

      Quant à Claudio, il se sentait enthousiasmé. Les propos de Gilberto lui donnèrent des ailes et sa confiance ne demandait qu'à s'envoler. Ses amis noirs ne pouvaient pas douter de valeurs respectant l’homme, ni de la sincérité de son engagement.

     En une fraction de seconde, il pensa en lui-même que Monsieur Pierre et ses amis n’oseraient quand même pas mettre tous les blancs dans le même panier.

     Bien sûr, tout le monde dans cette manif ne pouvait pas le deviner, mais les principaux guides noirs savaient qu’il était un exilé, un expulsé de ce Portugal de Satanlazar. Mais, il voulait leur montrer encore, s’il le fallait, qu’il était autant qu’eux une victime de ce gouvernement autoritaire, dictatorial de Lisbonne et comme lui tant d’autres blancs angolais. Il s’apprêta donc à prendre la parole. 

     C'est à ce moment précis qu’il lui sembla apercevoir sa femme Virginia au milieu d'une foule compacte.

    Ayant été entraînée au cœur de la manifestation, Virginia avait vu couler beaucoup de sang blanc. Elle arrivait en courant et criait de peurs et effrois. L’épouse entendait empêcher son mari de parler. C’était son instinct de femme, avivé peut-être par l’exclusion de son village, qui lui faisait croire que le pire allait arriver. 

    - Ne parle pas mon Claudio ! le suppliait-elle. Ne dit rien mon chéri ! Pense à ton fils ! Ils vont tous nous tuer Claudio. 

    Claudio ne se rendait pas compte de ce qui était déjà en train de se passer et n'accorda aucune attention à sa mise en garde.

    - Mais tu es devenue folle Virginia ? Que veux-tu qu’il nous arrive ? Ne sommes-nous pas parmi nos amis ? 

    - Que l’on éloigne cette blanche hystérique, elle est devenue folle, dit monsieur Pierre visiblement irrité. Progressivement son voile tombait, sa patience s'effritait. IL était excédé et perdait le peu de patience qui lui restait encore. Que l’on règle, une fois pour toutes, le cas de cette blanchâtre de merde, intima M. Pierre d'une voix sourde. 

    Claudio vît que deux hommes bâtis comme des montagnes avaient pris Virginia par les bras, et la conduisaient manu militari vers l'extérieur de la manifestation, il la pensait à l'abri, il n'avait pas compris ce qu'elle tentait de lui dire. Il ne savait pas qu'il ne la reverrait jamais. Qu'elle disparaîtrait sans laisser la moindre trace. Cependant personne ne se fit jamais d’illusion sur la forme tragique de sa fin. Mais à ce moment-là, on était loin d’imaginer que pendant de longues années du sang blanc allait couler d'abord et ensuite noir. 

     

    Claudio, enivré par un excès de patriotisme et encore plus de naïveté, était devenu aveugle à la gravité de la situation. Il pensait sa femme à l'abri protégée par des amis noirs. A l’initiative de Monsieur Pierre et de ses amis dont le but était de détourner la manifestation de ses buts premiers, de nouveaux éléments extrémistes s’infiltraient nombreux, par l'arrière du mouvement de foule. Claudio et les siens se situaient plutôt en tête du cortège. Ils croyaient encore la diriger, mais la situation allait changer du tout au tout, à la vitesse d’un éclair. Confiant, Claudio monta sur un monticule de terre pour mieux se faire entendre du petit peuple. Il commença à parler comme Cicéron. 

     

    * * *

    Le drame

    - Le grand peuple angolais se compose de nombreux petits peuples. Nous le savons tous très bien. Claudio se racle la gorge puis enchaine :

    - Les Ïsans, les Bantous, les Bakongos, les Ambundus, les Ovimïsans, les Ovimbundus, les Ovambos et depuis 1482 les blancs, les Portugais.

    - Pas les blancs ! Pas les Portugais ! Criait-on de pas très loin. Déjà un peu plus loin un groupe éméché brandissant des machettes :

    - On va te couper le caquet visage de craie ! On va te saigner blanc bec ! Dehors les Tugas !

    Pourtant devant le danger évident, Claudio croyait ingénument à une simple contestation comme cela peut naturellement arriver quelques fois lors des manifestations. Comme à son habitude, quand il avait besoin de convaincre, il ferma les yeux pour trouver l’inspiration, des  paroles faisant mouche,  trouver la vérité qui lui dictait son cœur: 

    - Aujourd’hui nous sommes tous angolais, bien que tous différents. Laissez-moi vous dire, dit-il en riant, ce n’est pas simplement une particularité angolaise, c’est un fait universel. Tous les blancs ne sont pas identiques non plus. Ils sont aussi différents. L’Europe, comme l’Afrique se composent d’une population blanche et noire. Dans notre cher Angola il y a des blancs depuis de nombreuses générations, ils sont autant angolais que vous, que nous. Les blancs de notre Angola sont venus d’ailleurs comme beaucoup parmi vous. La vérité, elle est toute simple. Nous venons tous de quelque part ! Nous venons tous d’ailleurs. D’ailleurs mes amis !

    On entendit çà et là dans la foule quelques applaudissements qui allaient grossissant. Claudio cru même, que le petit groupe de contestataires, avait fini par se ranger à sa cause. L’on aurait dit que ses paroles sages, avaient apporté à tous une attitude plus sereine. Claudio s’imagina même, voir devant lui une foule confiante et calme, comme une vaste mer d’huile, où se mirait un ciel bleu parsemé de nuages souriants de joie, mais aussi, d’un bel avenir de démocratie où tous les Angolais vivraient ensemble et en paix. 

    Mais tout d’un coup, un brouhaha se leva intempestivement à l’autre extrémité de la foule. Puis une vague, forte, violente et agressive, comme un tsunami, se fraya un chemin à coups de machette.

     Les coups de coutelas pleuvent à gauche, à droite, devant, derrière. Ils coupent, amputent, tranchent un bras, une main, une épaule, une jambe. Ils tuent tout sur leur passage, homme, femme ou enfant.

     Quant aux blancs, horrifiés de peur, ils voient rouler par terre la tête de leurs frères de couleur et s’attendent horrifiés, atterrés à subir le même sort.

     Le sang coule à flot, gicle des profondes blessures. Il tache le sol, formant çà et là, d’énormes flaques rougeâtres. Des cris d’agonie s’étouffent dans la poussière, des cris de peur montent vers le ciel. Partout, l’horreur, l’épouvante, l’assassinat, le crime, la mort. Voulant échapper au massacre, un mouvement de foule prend naissance, marchant, piétinant les cadavres de ses semblables. Il, crie, court, zigzague, faisant d’autres victimes en cherchant par tous les moyens à fuir dans tous les sens. Échapper, coûte que coûte à l’horreur, à la violence dont sont capables ces monstres extrémistes. Des plaintes désespérées, mêlées d’une sorte de prière s'élèvent vers le ciel pour exorciser ces images de fin du monde et d’apocalypse. Rien n'y fait, le tsunami de violence continue de massacrer tuer, écraser. C’est l’abîme, les ténèbres, l’enfer, l’inimaginable monstruosité dont peut être capable un être humain. 

    - Blancs usurpateurs, blancs esclavagistes, blancs dominateurs blancs omniprésents ! Métis bâtards, tous complices !

     Crie triomphante la vague de la mort alcoolisée, ensorcelée à qui les guides extrémistes ont fait croire que les blancs étaient des créatures malsaines du diable qui méritaient la mort. Eux les combattants n’avaient rien à craindre, puisque ni couteau ni balle ne pouvait rentrer dans leurs corps. Ils pouvaient distribuer la mort sans crainte de la recevoir. Pendant qu’ils continuaient de semer la terreur dans la foule, leurs chefs tentaient de convaincre une autre partie des manifestants la manipulant avec des slogans : 

    - Tuons tous ces sales blancs qui sont ici. Mais qu’est-ce qu’on attend pour saigner tous ces Tugas sans distinction ? Tous des colons esclavagistes.

    - Demain plus un noir ne doit travailler pour un blanc ! Demain, tous avec des machettes. Demain tous dans les plantations de canne et couper, couper la tête aux blancs ! Demain, tous morts et débarrassés une fois pour toutes de cette plaie blanchâtre ! Libérons notre sang noir sucé pendant des siècles par ces sangsues.

    La vengeance sera notre honneur retrouvé. Leur mort sera notre source de vie. Nettoyons notre terre angolaise de ces mauvaises herbes et demain nos champs nos donneront la richesse qui nous a été si longtemps volée. 

    La vague de la mort arriva si vite près de Claudio qu’il n’eut pas le temps de réagir.

     En ouvrant vraiment les yeux, il vit courir vers lui, un pauvre gamin sans âge, le regard hagard, le teint livide. Il buvait des gorgées au goulot d’une sale bouteille de rhum dont le liquide coulait à moitié de sa bouche. Ivre et ensorcelé par M. Pierre et les siens le gamin avançait en titubant une machette pointue à la main. Claudio chercha à accaparer l’attention de ses yeux fuyants, et lui dit avec une voix de père 

    - Mais que fais-tu là mon enfant ?

    L'arme s'enfonça avec un bruit sourd dans son corps. Claudio laissa échapper un gémissement rauque qu’une écume mousseuse et blanche étouffait déjà. Ses entrailles glissaient hors de son abdomen en se tordant sur elles-mêmes. Elles mouillaient dans une mixture d’eau et de sang la terre rouge du Musseque de Lixeira. Pendant un court moment, Claudio sentit un froid d’acier le parcourir, il eût le sentiment que sa vie le quittait. Est-ce qu’il était éveillé ou était-il en train de rêver.

     Au loin, comme dans un tunnel où la lumière manquait, il crut apercevoir sa Virginia, était-elle morte aussi ? Dans un ultime effort, il tendit la main vers sa femme tant aimée, ils étaient venus tous les deux avec leur fils vers cette terre angolaise qu'ils avaient tant aimés après avoir été chassés de chez eux le Portugal. Ils partaient ensemble, il était serein. Puis son cœur se serra, qu'était devenu Wald, avait-il réussi à échapper au tourbillon noir qui le poursuivait.

     Soudain, sa lèvre inférieure sembla dessiner une légère trace de sourire, il avait confiance, il en était persuadé, Wald survivrait. Il pouvait partir sa femme l'attendait.

     

    Vannes le 03 juillet 2022

    Virgile ROBALLO


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